Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

178 Force est donc au Parti de constater que le recours à la seule raison raisonnante ne suffit pas à transformer la conscience sociale, la psychologie des ma~s~s étant bien plus complexe que ne le croyaient les Encyclopédistes ou encore Marx, Engels et leurs disciples des débuts du régime. Un philosophe communiste fait une analyse fort instructive de cette psychologie : La psychologie sociale comprend tout le complexe d'idées, pensées, conceptions, illusions, sentiments et états d'esprit qui, chez les membres d'une classe donnée, surgissent spontanément en tant que reflets immédiats des conditions de vie des gens et de leurs rapports économiques. Contrairement à l'idéologie, la psychologie sociale ne représente pas quelque chose d'unifié, de systématisé et de coordonné. Les processus émotionnels (sentiments et états d'esprit) y jouent un grand rôle... Bien comprendre cette psychologie est indispensable non seulement à la doctrine de l'athéisme scientifique, mais également à la pratique de l'éducation selon l'esprit de ce dernier 7 • Or la propagande antireligieuse négligeait jusqu'ici presque entièrement ce côté complexe de la conscience humaine, n'usant que d'arguments scientifiques qui glissaient à la surface de la « psychologie religieuse » sans l'entamer profondément. Pour notre auteur ... ... En règle générale, les conceptions religieuses des croyants ordinaires ne constituent pas un système ordonné de dogmes et d'affirmations. Elles sont un mélange informe et plutôt chaotique d'idées, conceptions, représentations mythiques, sentiments et états d'esprit hétéroclites. C'est cette « conscience quotidienne ,, de la masse des croyants que nous appelons « psychologie religieuse » (ibid.). C'est en analysant les sources de cette psychologie que l'auteur découvre, bien involontairement, les causes profondes de la persistance dans la société soviétique de tant de religions diverses : Dans les formations sociales antagoniques 8 , les principales sources de la religion sont l'impuissance des exploités à lutter contre l'oppression et la violence, l'incapacité des hommes à maîtriser les lois de l'évolution de la société ainsi que la spontanéité du processus social... La religion est le reflet, déformé et illusoire, des relations sociales elles-mêmes, et non pas simplement un résultat de la tromperie, de l'ignorance, de l'incompréhension par les hommes des phénomènes et des lois. Elle n'est pas non plus quelque chose d'imposé du dehors à la société, aux travailleurs, par les classes dominantes. Ce sont les rapports sociaux dans lesquels vivent les hommes qui font naître chez eux une conscience déformée et erronée, c'est-à-dire la religion. Par conséquent, la psychologie religieuse naît spontanément comme un reflet immédiat de l'impuissance des hommes 7. D. M. Ougrinovitch: • L'éducation?athéiste et la liquidation de la psychologie religieuse », in Questions de philosophie, avril 1961, n° 4, pp. 98-uo. 8. C'est-à-dire dans toutes les sociétés non communistes. Biblioteca Gino Bianco L'EXPSRIENCE COMMUNISTE devant les conditions sociales, les rapports sociaux. Ce reflet (..;) constitue le fondement de toute religion, son terrain de culture et son milieu nourricier ••. Les tendances et la mentalité religieuses sont inévitables dans une société antagonique, tout au moins pour une masse considérable d'exploités ••• Les traditions et les habitudes jouent un rôle immense dans la diffusion de la psychologie religieuse et dans sa transmission aux générations nouvelles. La succession existe non seulement dans le I domaine de l'idéologie, mais aussi dans la psychologie sociale, où elle se manifeste par la pression immédiate de l'id&llogie de la masse entière des générations précédentes. Cette influence s'exerce tant dans la famille qu'à l'intérieur des unités sociales plus vastes : ordre, état, classe, etc. (ibid.). Après ces constatations fort judicieuses, on s'empresse naturellement d'affirmer que dans la société socialiste la situation est tout autre. La mentalité religieuse n'y est nullement inéluctable : L'oppression, l'exploitation et la violence sont absentes sous le socialisme. La spontanéité dans l'évolution de la société fait place à la création historique consciente, œuvre des hommes armés de la connaissance des lois objectives de l'évolution sociale. Par conséquent, dans la société socialiste, les rapports sociaux objectifs ne donnent plus naissance dans la conscience des travailleurs à des conceptions et à une mentalité religieuses. Cela ne signifie nullement que la psychologie religieuse soit absente de notre société( ...) la religiosité cesse d'y être un produit inéluctable des conditions objectives de la vie des hommes... En régime socialiste, la religion se présente essentiellement comme un vestige des époques historiques précédentes, comme une manifestation du conservatisme partiel de la conscience sociale qui retarde sur l'évolution de l'être social (ibid.). En suivant le cheminement de la pensée de notre auteur, nous touchons au point inévitable où il est tenu, comme tous les autres sociologues communistes, d'abandonner le terrain solide des faits, de fermer les yeux sur la réalité soviétique, de l'escamoter et de mettre à sa place l'image idéale de la société socialiste conforme à la doctrine de Parti. En effet, il faut être un fanatique marxisteléniniste, rêveur aveugle de l'espèce éteinte dès les ·premières années du régime, ou un praticien . habile du « mensonge déconcertant » 9 , cet élément constitutif de la mentalité des dirigeants et des théoriciens à leur service, pour prétendre que sous le socialisme, tel qu'ilestpratiquéen U.R.S.S., « l'oppression, l'exploitation et la violence sont apsentes », que les citoyens ne se sentent point impuissants devant l'Etat qui les exploite, devan~ l'oppression et la violence qu'ils rencontrent à chaque pas, que le joug des rapports économiques et sociaux ne pèse plus sur eux, qu'ils ne ressentent plus aucun besoin d'évasion. · Pour l'auteur communiste ••• ••.Il n'y a pas et il ne peut y avoir, bien entendu, aucun sentiment religieux inné chez les hommes. Leurs 9. Cf. notre article : « Lamentalitédes cadresen U.R.S.S. •, in Contrat social, mai-juin 1961.

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