Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

166 ment de Pologne. Vaughan 2 reconnaît que Rous- ·seau était personnellement hostile à toute espèce de monarchie, mais qu'il a manifestement atténué l'expression de cette hostilité dans le Contrat social. « Il exclut, dit-il, nécessairement et justement la monarchie absolue, mais il concède, au moins en théorie, que la monarchie limitée est une forme de gouvernement compatible avec la souveraineté du peuple... C'est un témoignage de son honnêteté intellectuelle d'avoir admis la monarchie parmi les formes légitimes de gouvernement. » Vaughan ajoute qu'outre son honnêteté intellectuelle, Rousseau avait également le souci, comme il le dit dans ses Confessions 3 , de ne pas faire la critique du gouvernement de la France, où il vivait comme étranger. A s'en tenir à ces remarques de Vaughan, il faudrait admettre que Rousseau - ne fût-ce que par prudence ou par scrupule intellectuel - se serait finalement accommodé de la monarchie limitée ou modérée qui était l'idéal politique de Locke et de Montesquieu. Cette interprétation paraît peu conforme à l'esprit du chapitre du Contrat social sur la monarchie. Sans doute le gouvernement monarchique, au sens où Rousseau prend le mot de gouvernement, c'est-à-dire comme l'exercice du pouvoir exécutif subordonné au pouvoir législatif, est-il légitime en théorie, au même titre que les deux autres. Mais tout le chapitre tend à montrer que, dans la pratique, ce gouvernement est le plus mauvais de tous et n'a point le souci du bien public. Nous ne connaissons pas de réquisitoire ·plus impitoyable contre la monarchie que ce chapitre où l'auteur accumule les griefs contre cette forme de gouvernement sans lui concéder aucun avantage. En réalité, Rousseau n'a pas voulu ou n'a pu atténuer dans le Contrat social l'expression de son hostilité foncière contre toute espèce de monarchie. Il rejette aussi bien la monarchie tempérée que la monarchie absolue pour la raison que nous avons dite : tout gouvernement monarchique tend nécessairement à l'absolutisme et c'est une illusion de s'imaginer qu'on pourra le maintenir dans les limites de la loi ou le rendre favorable ·à la liberté. Pour lui, les hommes ne peuvent être libres dans l'état civil que s'ils deviennent réellement citoyens, et les sujets d'un roi ne le seront jamais. Ce qui distingue Rousseau de tous les écrivains politiques de son temps, c'est l'intransigeance de son républicanisme. . LA CRITIQUE de la monarchie se présente chez Rousseau sous différents aspec~s. Dans ses premiers écrits, l'auteur attaque indirectement le gouvernement monarchique en 2. Dans son édition classique du Contrat social, Manchester 1926, pp. 145-46. 3. Livre IX. Dans l'édition des Œuvres complètes de la Bibliothèque de la Pléiade, tome I, pp. 423-24. Biblioteca Gino Bianco ANNWERSAIRBS réfutant les écrivains qui le font dériver du gouvernement domestique ou du pouvoir paternel. Ceux qui soutiennent cette théorie se proposent de prouver par là que la monarchie s'est établie la première parmi toutes les formes de gouvernement et qu'elle est ainsi la plus conforme à la nature. Cette intention est manifeste chez Bossuet: « Tout le monde commence par des Monarchies ; et presque tout le monde s'y est conservé comme dans l'état le plus naturel. « Aussi avons-nous vu qu'il a son fondement et son modèle dans l'Empire paternel, c'est-à-dire dans la nature même. « Les hommes naissent tous· sujets : et l'Empire paternel qui les accoutume à obéir, les accoutume en même temps à n'avoir qu'un seul Chef 4. » L'argumentation de Rousseau consiste à montrer qu'il y a trop de différence entre l'autorité paternelle et l'autorité politique pour que l'une ait pu servir de modèle à l'autre. Mais cette argumentation est surtout pour lui une occasion d'attaquer la monarchie dans des formules dont la violence mérite d'être soulignée. C'est ainsi qu'il écrit dans le Discours sur l'inégalité 5 : Les biens du père, dont il est véritablement le maître, sont les liens qui retiennent ses enfants dans sa dépen-. dance ; et il peut ne leur donner part à sa succession qu'à proportion qu'ils auront bien mérité de lui par une continuelle déférence à ses volontés. Or, loin que les sujets aient quelque faveur semblable à attendre de leur despote, comme ils lui appartiennent en propre, eux et tout ce qu'ils possèdent, ou du moins qu'il le prétend ainsi, ils sont réduits à recevoir comme une faveur ce qu'il leur laisse de leur propre bien. Il fait justice quand il les dépouille ; il fait grâce quand il les laisse vivre. On objectera- à ces remarques que le roi n'est pas un despote, mais reprenant ailleurs le parallèle entre le gouvernement royal et celui de la famille, Rousseau conclut : Aussi la nature a-t-elle fait une multitude de bons pères de famille; mais j'ignore si la sagesse humaine a jamais fait un bon roi. · Ce texte est tiré de la première version du Contrat social 6 • Dans la version définitive, l'auteur revient une fois de plus sur ce thème : Mais si, selon Platon, le roi par nature est un personnage si rare, combien de fois la nature et la fortune concourront-elles à le couronner? Et si l'éducation royale corrompt nécessairement ceux qui la reçoivent, que doit-on espérer d'une suite d'hommes élevés pour régner? C'est donc bien s'abuser que de confondre le , ~ 4. Politique tirée des propres paroles ·de l' Ecriture sainte, liv. II, art. 1, prop. vu, Paris 1709, p. 69. 5. Dans les Political Writings of J.-J. Rousseau publiés par C. E. Vaughan, Cambridge 1915, t. I, p. 186. Nous désignerons par la •suite cette édition par : Vaughan. 6. Livre I, chap. 5 ; Vaughan, t. I, p. 465.

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