Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

ROUSSEAU ET LE PROBLÈME DE LA MONARCHIE par Robert Derathé LES DOCTRINES POLITIQUES intéressent le philosophe parce qu'il y trouve une conception de l'homme et de la société. L'historien les étudie en fonction de leur époque et les considère surtout comme une réaction à une situation politique donnée. Si l'on se place à ce second point de vue, on constate qu'il y a eu dans la littérature politique moderne, à partir de 168 5, une offensive généralisée contre l'absolutisme. Le combat a été engagé en Angleterre par Locke dans l' Essai sur le gouvernement civil ( 1690, trad. française l'année suivante) et en France par Montesquieu dans l' Esprit des lois (1748). Ces deux livres célèbres ont certainement contribué à discréditer le pouvoir absolu dans l'opinion publique. Cependant ces assauts contre l'absolutisme ne tendent pas à renverser la monarchie pour lui substituer une constitution républicaine. Ils tendent plutôt à montrer que la nature du gouvernement monarchique l'éloigne du pur despotisme, que le pouvoir royal n'est pas ce pouvoir arbitraire ou absolu que certains souverains se sont illégitimement attribué, qu'il doit, a~ contraire, s'exercer dans certaines limites prescrites par la loi. Le libéralisme du XVIIIe siècle n'est pas d'inspiration républicaine, ni hostile à la monarchie, même héréditaire. Tout ce qu'il demande, c'est que le gouvernement respecte la liberté des personnes et la propriété des biens, qu'il garantisse à tous les citoyens l'exercice de leurs droits essentiels et qu'il soit ainsi conforme à ce que Locke appelle la fin des sociétés politiques. Un tel obJectif peut être atteint aussi bien dans une monarchie que dans une république. Ainsi, pour Montesquieu, la liberté politique n'est pas liée à une forme déterminée de gouvernement : « Il faut conclure, dit-il dans ses Pensées, que la liberté politique concerne les monarchiesmodérées comme les républiques, et n'est pas plus éloignée du trône que d'un sénat; et tout homme est libre Biblioteca Gino Bianco qui a un juste sujet de croire que la fureur d'un seul ou de plusieurs ne lui ôteront pas la vie ou la propriété de ses biens 1 • » La seule condition pour que la liberté politique puisse s'établir et se maintenir est que le gouvernement soit modéré, que la modération vienne, comme dans la monarchie française, de l'existence de pouvoirs intermédiaires, ou de la balance des pouvoirs, comme dans la monarchie anglaise. En opposant la monarchie au despoti~me, ~~ntesquieu se propose de la ramener a sa ventable nature de gouvernement modéré ou réglé par les lois. Il en est de même chez Locke. Adversaires de l'absolutisme, de la tyrannie ou du despotisme, ces deux auteurs restent partisans de la monarchie modérée ou tempérée. Quand on lit les écrits politiques de Rousseau, on constate, au contraire, que l'auteur ne fait pas de différence entre l'absolutisme et la monarchie. « Les rois veulent être absolus », dit-il dans le Contrat social (III, 6). La monarchie contient en germe l'absolutisme et y conduit infailliblement. Aussi est-il vain de combattre l'un si l'on veut à tout prix épargner l'autre. Le combat pour la liberté devient chez Rousseau une lutte contre la monarchie. Il n'est pas un seul de ses écrits politiques où il ne dénonce les méfaits ou les abus du pouvoir royal, pas un seul où il ne s'en prenne à ceux qui s'en sont fait les défenseurs ou les apologistes. Si la critique de la monarchie reste occasionnelle dans le Discours sur l'inégalité ou dans l'Economie politique, elle devient systématique dans les Jugements sur les écrits de l'abbé de SaintPierre et dans les Considérations sur le gouverne1. Il s'agit du texte intitulé: « De la Liberté politique ». On le trouve dans le tome II des Œuvres compUtes de Montesquieu, publiées sous la direction de M. A. Masson, Paris 1950, Nagel, p. 256.

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