Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

revue l1istorique et critique Jes faits et Jes iJles Mars-Avril 1962 Vol. VI, N° 2 LE SPECTRE JAUNE par B. Souvarine ALA VEILLE du xx0 siècle, Vladimir Soloviev pressentait à sa façon le péril jaune dans le troisième de ses Entretiens sur la guerre, la morale et la religion (1899). L'idée était dans l'air, bruyamment énoncée par Guillaume II qui la tenait d'une certaine science allemande encore anonyme et mal définie que des Suédois dénommeront plus tard géopolitique. Mais déjà en 1890, dans un article sur La Chine et l'Europe, Soloviev se préoccupait de « l'opposition des cultures de la Chine et de l'Europe » et méditait sur « le prochain conflit des deux univers de culture que constituent la Chine et l'Europe », conflit qui devait dresser le paganisme oriental contre le christianisme occidental. La même année, son article sur le Japon scrute l'avenir où le prophète entrevoit « une dernière réaction mondiale de l'Orient païen devant le triomphe définitif du christianisme universel ». En 1894, c'est un poème de Soloviev sur le Panmongolisme qui avertit son pays : « Russie ! oublie ta gloire passée - L'Aigle à deux têtes est abattu - Et les enfants jaunes s'amusent - Avec tes drapeaux mis en pièces », car « ••• Comme les sauterelles innombrables - Et comme elles, insatiables - ..• Les tribus marchent vers le Nord.» Après la guerre sino-japonaise et pendant l'insurrection des Boxers, l'historiosophie de Soloviev se précise dans le troisième Entretien où le porteparole du philosophe inspiré déclare, entre autres : « Le xx0 siècle après la naissance du Christ fut l'époque des dernières grandes guerres, discordes civiles et révolutions. » On croit entendre l'écho de cette sentence dans les affirmations ultérieures de Unine, maintes fois réitérées, sur l'impérialisme moderne comme « époque de guerres et de révolutions ». Le panmongolisme qui hante l'esprit de Soloviev serait l'union des peuples de l'Asie orientale sous la suprématiedes Japonais qui, ayant « copié Biblioteca Gino Bianco les formes de la culture européenne, s'approprièrent aussi quelques idées européennes d'ordre inférieur ». Après avoir envahi la Corée, les Nippons des Entretiens entrent à Pékin où ils instaurent une dynastie de chez eux, se concilient la bourgeoisie chinoise et finissent par encadrer la multitude asiatique avec laquelle s'accomplira l'invasion de l'Europe. Un demi-siècle de domination mongole suscite l'union des Etats européens qui refoule les conquérants « dans les profondeurs de l'Asie ». La délivrance résulte « de l'organisation internationale où se sont unies les forces de tous les peuples européens. Alors ce fait éclatant produit sa conséquence naturelle : l'antique loi de la coexistence de peuples séparés est discréditée partout; et presque partout s'écroulent les derniers restes des vieilles institutions monarchiques. Au xx1° siècle, l'Europe représente une union d'Etats plus ou moins démocratiques : les Etats-Unis d'Europe. » Après quoi, continue le visionnaire, « les progrès de la culture extérieure, retardés un moment par l'invasion mongole et par les nécessités de la lutte libératrice, prennent de nouveau une allure accélérée. Mais les problèmes de la conscience intime - le sens de la vie et de la mort, la destinée finale du monde et de l'homme - compliqués et embrouillés par une multitude de recherches et de découvertes nouvelles, physiologiques et psychologiques, demeurent comme auparavant sans solution. Seul un résultat est clair, important quoique négatif : la complète déroute du matérialisme théorique. La danse des atomes comme conception de l'univers, la combinaison mécanique des moindres changements de la matière comme explication de la vie, cela ne peut plus satisfaire aucun homme qui pense. Pour toujours l'humanité a dépassé ce degré de l'enfance philosophique.» Suivent des vues eschatologiques, des considérations sur le Christ et l'Antéchrist étrangères au

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