Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

86 · Cela ne fait aucun doute. Dans ses activités de tchékiste en Transcaucasie, Béria a certainement surpassé beaucoup d'autres dans le genre. Telle fut d'ailleurs la principale raison de son avancement. Mais en lisant la déclaration de Khrouchtchev, on ne peut s'empêcher de penser que sa propre nomination en Ukraine en janvier 1938, qui lui mit vraiment le pied à l'étrier, fut étroitement liée à l'anéantissement de Pavel P. Postychev et de Stanislas V. Kossior, membres du Politburo et respectivement premier et deuxième secrétaire du parti communiste ukrainien. Jetons donc un coup d' œil sur les circonstances dans lesquelles ceux-ci furent « liquidés». * ,,. ,,. LE COMPORTEMEtNémTéraire de Postychev à la réunion plénière du Comité central en févriermars 1937 est d'autant plus remarquable qu'il était conscient d'approcher de sa fin 7 ; au 13e congrès du Parti ukrainien (mai-juin 1937), un de ses anciens «amis», M. S. Vassilenko, membre du comité de la région de Kiev, avait révélé l'irritation de Postychev devant les critiques faites par le Comité central du P.C. de l'Union soviétique, le 13 janvier·1937 à Moscou, au sujet des «erreurs » de l'organisation du Parti à Kiev 8 • Kaganovitch avait été immédiatement dépêché dans la capitale ukrainienne pour aplanir la situation. Une réunion plénière du comité régional fut convoquée d'urgence le 17 janvier avec la participation de Kaganovitch en sa qualité de secrétaire du Comité central. A cette réunion, Postychev fut relevé de ses fonctions de premier secrétaire du comité de Kiev «en raison de l'impossibilité de cumuler » ce poste avec celui de deuxième secrétaire du Comité central ukrainien 9 • La véritable raison n'était bien entendu pas là : de 1930 à 1938, Kaganovitch lui-même assumait trois postes du Parti à Moscou et Khrouchtchev renouvela cet exploit en 1938 à Kiev, où il trouva le moyen d'être à la fois premier secrétaire du Comité central et des comités régional et urbain. Postychev devait être liquidé, mais sa popularité parmi les militants ukrainiens obligea Staline à camoufler ce premier coup qu'il lui porta par l'intermédiaire de Kaganovitch. La deuxième attaque indirecte vint au début de février : le nom de Karpov, protégé de Postychev, parut dans la presse ukrainienne accompagné des épithètes cc ennemi du peuple, répugnant 7. P. I. Postychev, vieux bolchévik, s'éleva ouvertement contre l'appel de Staline à intensifier les épurations. Cet incident est décrit au chap. 10 de The Grand Tactician, de L. Pistrak, publié à New York en 1961, d'où le présent article est extrait. (N.d.l.R.) 8. Visti V.T.s.V.K., 1er juin 1937. 9. Ibid., 18 janv. 1937. Bibl'iotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL trotskiste » 10 • Pendant plus de deux semaines, une soixantaine d'importants militants ukrainiens, dont beaucoup avaient travaillé sous les ordres de Postychev, furent stigmatisés de la même manière. Le 17 mars, douze jours après la réunion p1énière de Moscou, Postychev fut relevé officiellement de ses fonctions de deuxième secrétaire du Comité central du parti ukrainien «pour être mULt! 1 un autre poste » 11 • Cet autre poste était le secrétariat du comité du Parti de la région de Kouibychev. Le 20 janvier 1938, il fut exclu du Politburo auquel il appartenait depuis quatre ans comme membre suppléant, et Khrouchtchev fut nommé à sa place. Bien que dans le communiqué officiel on continuât de lui donner du « camarade », il ne fait aucun doute qu'il n'ait déjà été arrêté, sen nom ayant disparu complètement de la presse soviétique depuis le 17 novembre 1937. Le numéro de Visti qui rapportait l'élimination de Postychev du Comité central du P.C. ukrainien (18 mars 1937), et l'accusait dans son éditorial d' «aveuglement politique », consacrait une demi-page au rapport que Khrouchtchev avait présenté deux jours auparavant à Moscou sur le~ résultats de la réunion plénière de févriermars. Son discours figurait en bonne place en deuxième page, alors que le rapport des dirigeants ukrainiens sur le même sujet était passé sous silence. Deux jours plus tard, Visti reprenait dans son éditorial un slogan de Khrouchtchev. Ce n'était certainement pas accidentel : il semble qt1:ed, ès mars 1937,celui-ci était considéré comme un homme influent à Kiev. (Il n~avait pas fallu longtemps à Khrouchtchev, qui avait quitté la ville en 1929 comme militant de base, pour y revenir comme dirigeant.) Après la révocation et l'arrestation de Postychev, Kossior demeurait chef du Parti en Ukraine, mais sa position était considérablement affaiblie. Le 18 janvier 1938, les journaux annoncèrent qu'il avait été nommé vice-président de la Commission de contrôle : c'était le baiser de Judas de Staline. Trois mois plus tard, probablement vers la fin d'avril, Kossior était arrêté. Le juge d'instruction Rodos déposa en février 1956 : «On me· dit que Kossior et Tchoubar [membre du Politburo arrêté en 1938] étaient des ennemis du peuple et qu'en tant que juge d'instruction je devais donc les faire avouer 12 • »C'est Khrouchtchev qui informa le XXe Congrès du témoignage révoltant de Rodos,.mais c'est le même Khrouchtchev qui, en juin 1938, s'adressant au 14e congrès du parti ukrainien, déclarait : Les ennemis du peuple qui siégeaient à la direction du Comité' central du P.C. d'Ukraine et au comité régional [de Kiev] savaient très bien que plus l'organisation du Parti est forte, plus elle est dangereuse - , 10. Visti V.T.s.V.K., 1er fév. 1937. 11. Ibid., 18 mars 1937. 12. Discours secret de Khrouchtchev au XXe C ngrès.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==