Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

KHROUCHTCHEV E'f LES TUERIES par Lazare Pistrak L , ASCENSION de Khrouchtchev vers le pouvoir fut un processus presque ininterrompu depuis son arrivée à Moscou en 1929. Il n'était pas facile à un nouveau venu, sans bagage idéologique et médiocrement instruit, d'accéder à une haute position parmi les vieux bolchéviks dont la foi était née en des temps de persécutions et de colère et s'appuyait solidement sur une doctrine dont ils passaient pour les porte-drapeau. Dans des conditions politiques « normales », Khrouchtchev eût été incapable de pareil bond vers les sommets de la hiérarchie. Mais les conditions étaient anormales : l'intellectualité n'était pas très demandée ; la dictature totalitaire, dont la naissance coïncida avec l'arrivée de Khrouchtchev dans la capitale, réclamait des gens à l'esprit fruste et aux nerfs solides, dévorés d'ambition, dénués de scrupules, prêts à suivre aveuglément la ligne tracée par Staline et ses proches collaborateurs et à jeter ainsi les fondements d'un pouvoir autocratique. La grande épuration des années 30 fut la pierre de touche de l'aptitude des nouveaux venus aux tâches de l'ère qui s'ouvrait. Khrouchtchev passa l'épreuve avec mention. A la fin de 1937, la décision de l'admettre à la plus haute instance du Parti, le Politburo, était sur le point d'être prise. Mais c'était aussi le moment où l'épuration sanglante atteignait son point culminant. léjov, le nabot forcené aux longues oreilles et à la voix perçante, jouissait encore du pouvoir sans limite d'extorquer des aveux aux innocents. Les lieux de détention regorgeaient d'hommes et de femmes au corps rompu par les tortures, au seuil de la folie. La peur et l'angoisse étouffaient l'amitié et la sympathie. Les appels incessants à la vigilance, lourds de menaces, auxquels Khrouchtchev excellait, avaient donné des résultats. Pour éviter d'être accusés de «lâcheté» et de « libéralisme pourri », des gens terrorisés Biblioteca Gino Bianco rédigeaient de faux témoignages, accusant d'autres innocents d'espionnage, de sabotage et d'activités contre-révolutionnaires. A Kiev, un homme écrivit soixante-neuf faux rapports 1 , un autre plus de cent 2 ; à Odessa, un autre encore en fabriqua deux cent trente 3 , et dans la région de Poltava un communiste accusa tous les membres de son organisation d'être des « ennemis du peuple» 4 • Iéjov, donc, était le héros du jour. Le 20 décembre 1937, à l'occasion du vingtième anniversaire de la Tchéka, Je Grand Théâtre était bondé de créatures de Staline : Mikoïan rendit hommage au camarade Iéjov, « disciple doué et fidèle de Staline, aimé du peuple soviétique [et qui] a remporté la plus grande victoire dans l'histoire du Parti, une victoire que nous n' oublierons jamais ». Khrouchtchev, Kaganovitch, Vorochilov et Molotov, qui présidaient, applaudirent chaleureusement lorsque Mikoian s'écria : « Apprenez le style de travail stalinien du camarade Iéjov, comme il l'a appris du camarade Staline! 6 » Le même jour, dans son éditorial, la Pravda saluait Iéjov d'un « Vive le fils fidèle du peuple, le commissaire du peuple stalinien, Nicolaï Ivanovitch Iéjov ! » C'est vers cette époque que Staline choisit Khrouchtchev pour en faire son représentant en Ukraine. Khrouchtchev a dit de Béria, dans son discours de février 1956 : « Il est maintenant établi que le misérable avait gravi l'échelle du pouvoir sur un monceau de cadavres 6 • » 1. Bilchovik Oukrafny (Kiev), 1938, n° 1, p. 53. 2. Visti V. T.s. V.K. (Kiev), 23 mai 1938. 3. Ibid., 17 juin 1938. 4. Ibid., 14 f~v. 1938. 5. Pravda, 21 d~c. 1937. 6. Discours secret de Khrouchtchev au XX• Congr~s.

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