I L. EMBRY et le ressentiment provoqués par une connaissance moins superstitieuse des vainqueurs d'hier, l'influence des élites et de la prop1gande, sans oublier l'impulsion dJnnée par les Blancs euxmêmes qui consentirent à payer le prix de leurs fautes, appellent à la vie des ensembles humains pour lesquels la forme de la nation est décidément le seul conten1nt possible, le seul moyen de se réaliser soi-même. Par la grâce du costume et de la phraséologie, ces nations de la dernière cuvée sont démocratiques et parlementaires, l'héritage européen persistant de la sorte très manifeste, mais, en pratique, s'impose le régime de la dictature nationale org1nisée à partir d'un chef ou d'un clan, et dont l'instrument principal est l'armée. Ainsi la vague de fond est bien celle du nationalisme, parce qu'elle est née des guerres et des rivalités, parce qu'elle porte en elle des puissances primitives antérieures à toute pensée claire, celles qu'entretiennent le nombre, la masse, les traditions ethniques, le besoin de se donner une conscience commune en des dimensions définissables et par opposition à d'autres, fussent-ils de très proches voisins étreints dans une véritable communauté de destin. D'où les contradictions, les déchirements causés par la fureur de se moderniser et, simultanément, par la régression en une autonomie farouche qu'on déclare conforme à on ne sait quel type ancien. Il faut bien le dire : en dépit des conventions et du vocabulaire accrédité, le siècle porte une empreinte fasciste très facilement reconnaissable, fasciste plus même que communiste. Non certes qu'on soit enclin à sous-estimer le communisme, son impérialisme multiforme, les dangers qu'il représente et contre lesquels il faut se tenir en garde. Mais nous avons vu comment il s'est lui-même fascisé sous la direction de Staline; d'autre part, il est constamment en compétition avec d'autres nationalismes et rencontre de ce chef de sérieuses difficultés. Il apparaît aussi que Tito fut un précurseur, qu'à l'intérieur même de l'aire communiste les contradictions nationalistes et les tendances autonomistes se font sentir toujours davantage. La déstalinisation radicale est virtuellement une décolonisation; elle peut mettre fin à l'hégémonie du Kremlin, elle a déjà produit des schismes d'une grande importance, elle inaugure une période marquée par des évolutions divergentes. Ce serait lourde T.dence que de croire ou laisser croire à l'a ·blissement décisif. du communisme, mais on peut soutenir qu'il a perdu à tout jamais les avantages du commandement unique. DOIT-ON conclure qu'au moment où la terre se rapetisse, où les techniques de relations se développent vertigineusement, où les peuples sont de plus en plus pressés les uns Biblioteca Gino Bianco 83 contre les autres et contraints de se mêler, la carte politique soit appelée à renforcer son aspect de mosaïque ou de puzzle ? La contradiction saute aux yeux. Même si l'on veut éviter de porter sur l'O.N.U. condamnation sans appel, on reconnaît avec dépit qu'elle est, malgré son titre, hors d'état de coordonner efficacement la vie des peuples qu'elle héberge en ses assises; l'ironie de l'histoire a voulu que son fonctionnement fût très fréquemment bloqué par le veto des zélateurs de Marx et de Lénine, champions aujourd'hui de l'imprescriptible souveraineté nationale. De son côté, la société des peuples communistes, vieille maintenant de près d'un demisiècle, semble avoir dépassé le zénith de sa courbe ; sa puissance expansive est freinée, les difficultés internes ne lui sont pas ménagées, le mythe a beaucoup perdu de sa chaleur et de son rayonnement. Les constructions présomptueuses en lesquelles se réverbéraient des doctrines parfois bien simplistes, révélatrices d'une étrange ignorance de la nature humaine, n'ont donc pas réussi à capter les sources de la vitalité collective. La ligne de l'évolution n'est pas une droite et l'on s'égare toujours quand on veut la prolonger en fonction de la logique ; elle implique des oscillations, des retours, des régressions. C'est pourquoi l'essor de la science et des techniques coïncide avec le goût de la primitivité, le futurisme éperdu avec la passion de l'histoire, le sens plus concret de l'unité humaine avec le morcellement tribal ou national. Les peuples qui sortent de l'anonymat colonial ont beau se faire une âme d'ingénieur, rêver de barrages et de centrales électriques, d'avions et de fusées spatiales, il leur faut se reconstituer en des solidarités limitées qui accueillent tous les legs de la chair et du sang, qui sont condition d'énergie et de vouloir obstiné. Simultanément s'ébauchent des ensembles internationaux d'autant plus intéressants qu'ils ne doivent rien à la théorie, qu'ils représentent des tâtonnements empiriques, des agrégats de formes en mouvement, des genèses incomplètes. L'exemple le plus remarquable, le plus instructif, est évidemment celui de la nouvelle Europe occidentale. Il est facile sans doute d'en chercher dans le passé les prophètes, les voyants, les architectes à tire-lignes et compas; mais enfin, jusqu'en 1950, toutes les idéologies de style européen ne sortaient pas du verbalisme académique dont on est d'ailleurs bien éloigné de s'être libéré. Brusquement, commence une poussée dont tout le monde aperçoit les causes politiques immédiates, mais dont l'étonnant succès ne peut s'expliquer en profondeur que par l'instinct vital. Certes, la peur de l'impérialisme soviétique, la pression américaine et le plan Marshall, les calculs des technocrates et des militaires ont appelé à l'existence des pièces maîtresses qui se sont ajustées les unes aux autres, à commencer par le trust occidental du charbon et de la sidé-
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