QUELQUES LIVRES Prisons soviétiques JEAN-PAULSERBET: Polit-isolator. Paris 1961, Robert Laffont, édit., 443 pp. LES TÉMOIGNAGdEeS rescapés des camps de concentration soviétiques sont relativement abondants ; ceux sur les prisons se comptent sur les doigts d'une main. C'est dire l'importance qu'il faut attacher aux souvenirs de Jean-Paul Serbet, détenu de 1950 à 1958 dans la fameuse prison de Vladimir. L'auteur apporte de précieux renseignements sur le régime de détention. Qu'il soit resté plus de huit ans à Vladimir montre qu'on n'applique plus systématiquement la règle selon laquelle les prisonniers politiques ne devaient pas séjourner longtemps au même endroit. Toutefois, on continue de transférer fréquemment chaque détenu d'une cellule à l'autre et tout l'effectif d'une cellule est obligatoirement renouvelé tous les six mois. L'interdiction de parler à haute voix, dans la cellule, les cours et les couloirs, demeure en vigueur. A titre de châtiment, le détenu peut être mis au cachot, un réduit carré d'un mètre et demi de côté, au sol de ciment raboteux,. où le froid pénètre par un soupirail haut placé. Autorisation de dormir six heures sur une planche, sans paillasse ni couverture ou oreiller. Nourriture_: deux tranches de pain et trois verres d'eau par Jour. La permission de recevoir des colis ne fut accordée qu'en 1954. Les prisonniers sont exposés à une grave sous-alimentation : 550 grammes de pain de basse qualité par jour, choux aigres, bouillies de grain, pommes de terre, poisson salé ; on trouve du pain de qualité courante à la cantine, au prix exorbitant de 5 roubles le kilo. Jusqu'au printemps de 1955, il fut interdit d'écrire et de recevoir des lettres. La levée de cette interdiction fut suivie d'autres réformes : arrivée de journaux, cinéma une fois par mois, un diffuseur radiophonique dans chaque cellule, haut-parleurs dans les cours, temps de promenade doublé, etc. Des libérations assez nombreuses furent effectuées dans la prison de Vladimir en même temps que dans les camps de concentration. La commission itinérante qui parcourait les « lieux de détention » à la suite des révoltes dans les camps, en vue de réviser les sentences et de prononcer des réhabilitations, débarqua un jour à Vladimir. Mais l'auteur précise que son intervention ne se solda nullement par une libération des « politiques » en général, comme voudrait le faire accroire la propagande officielle. Il existait dans la prison une section spéciale où les détenus, tous « politi~ues » considérés comme importants, étaient sounus à un isolement absolu ; on ne sait si leurs dossiers furent examinés par la commission. Biblioteca Gino Bianco 63 D'autre part, J.-P. Serbet confirme que nombreux furent les transferts dans les prisons après les soulèvements survenus dans les camps à partir de 1952. A Vladimir, il rencontra des hommes venus de Vorkouta, d'Asbest, de Tobolsk et de Khabarovsk ; ils arrivaient par centaines. Mais le point le plus important de son témoignage est sans doute l'information selon laquelle les prisons elles-mêmes ne restèrent pas à l'abri du mouvement insurrectionnel. L'initiative de ces actions revint précisément aux détenus ayant passé par les camps. A Vladimir, l'événement se produisit pendant l'été de 1954. Il fut surtout déclenché par l'agitation des prisonniers grecs, en grande partie anciens militants du parti communiste ; soldats sous les ordres de Markos, ils avaient été refoulés de Grèce en Albanie, puis évacués sur l'U .R.S.S., pour échouer finalement dans les camps et les prisons. Leur but était d'organiser pour le 19 juillet une manifestation générale, de présenter à l'administration de la prison des réclamations et de demander la venue d'une commission présidée par le procureur général de !'U.R.S.S. Pendant plusieurs semaines, la prison entière fut comme prise de fièvre : messages en morse à travers les murs ou bien hurlés dans les co"nduitesdu chauffage, tracts rédigés du matin au soir dans les cellules et lancés de fenêtre à fenêtre et de cour en cour. Tout comme dans les camps, les gardiens, d'abord surpris, bientôt débordés, renoncent à intervenir et finissent par manifester discrètement leur sympathie. Mais la direction de la prison avait eu vent de ce qui se passait et avait pris ses précautions : plusieurs meneurs sont jetés au cachot, d'autres rigoureusement isolés; la garde est doublée ; de jeunes élèves officiers sont appelés en renfort et la prison se trouve cernée par la troupe. Aussi la manifestation du 19 juillet se limite-t-elle à un concert de cris scandés : « Procureur! Procureur!» Le procureur général Roudenko arriva peu de temps après pour entendre les doléances de chaque prisonnier. Que la vague de révolte ait pu ainsi atteindre une prison au régime aussi rigoureux que celui de Vladimir, c'est là une preuve supplémentaire de sa force. Dans les conditions existantes, l'action devait fatalement avorter. Elle n'en témoigne pas moins de l'effervescence qui travaille en profondeur la société soviétique depuis la disparition de Staline. Autre indice important : le refus essuyé par la commission itinérante de la part des partisans amenés du Caucase et de l'Ukraine. A ceux-ci, elle avait proposé la mise en liberté immédiate en échange d'une déclaration à la presse annonçant leur renonciation à l'idée d'indépendance nationale. L'auteur rapporte qu'en particulier les femmes furent convoquées, d'abord séparément, puis en groupe, et que toutes sans exception elles rejetèrent le marché proposé. PAUL BARTON.
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