Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

2 si elle avait disposé d'un appareil policier pour mettre son projet à exécution sur-le-champ. Mais ce n'était pas le cas et, pour la première fois depuis un bon tiers de siècle, le Comité central fit valoir ses droits statutaires en se réunissant d'urgence et en· s'épurant des gêneurs qui, ayant perdu la partie, furent anathématisés sous l'appellation de « groupe antiparti ». On les désignera ainsi, faute de mieux, dans l'analyse du monolithisme à la lumière des explications données au XXIIe Congrès et citées ci-après, tirées du compte rendu officiel. Ils voulaient, dit I. V. Spiridonov, « s'emparer de la direction du Parti et du pays afin de lutter pour le maintien de l'état des choses existant à l'époque du culte de la personnalité». On sait que par« culte de la personnalité», il faut entendre « tyrannie de Staline». Mikoïan précise que « les fractionnistes crurent le moment venu de s'emparer de l'autorité et de modifier la politique du Parti» quand fut décidée la réforme de l'organisation économique ; il ajoute que « la victoire du groupe antiparti aurait conduit à user de justice sommaire envers tous les partisans du xxe Congrès par des méthodes que le Parti ne pourra jamais oublier». En langage plus explicite, << justice sommaire » signifie assassinat et les « méthodes )> impliquent tortures et tueries. Selon I. G. Ignatov, le groupe antiparti se proposait de « décapiter la direction du Parti, changer la composition du Présidium derrière le dos du Comité central, s'emparer de la direction ... »; mais « il avait oublié, dans ses calculs, l'existence du Comité central dont les membres accordaient une confiance illimitée. à N. S. Khrouchtchev». Plus franc que les orateurs précédents, O. V. Kuusinen déclare que « l'objectif principal de ce groupe consistait à éloigner du Présidium .le camarade N. S. Khrouchtchev, continuateur de l' œuvre de Lénine, et à prendre toute la direction dans ses mains». F. R. Kozlov donne sa pleine signification au mot « éloigner » en assurant. que· -<< si··ces révoltés l'avaient emporté, ils n'auraient reculé devant rien pour atteindre leurs buts infâmes, ils auraient sévi contre des gens honnêtes et innocents ». Plus explicite encore sera N. N. Rodio~ov, en ces termes : « Si en 1957 les _gens du:. groupe antiparti avaient eu. le dessus, ils n'a.1:1r~ien-tpas _tenu compte de l'âge ni des q:iéri_tes_passés; ·aujourd'.hui, dans cette salle, de non:ilJr~ux•~.détégués manqueraient· à l'appel. De _nQuveaux et çru.~ls~ctes de répression se seraient ab~ttus sur notre parti, de nombreµx communistes fiçlèlesaurai~J.?.étté -jetés-enprison et liquidés. » Il s'agis•sait donc e.:1· 1957, pour Molotov et consorts, de · ressaisir le pouvoir en boutant Khroùchtchev hors du= Secr~tari 1t où 11 confiance .du- Comi~é- centr !l Pavait :placé ~n mars 1953 tandis. que Milenkov rétrograd1it alors au rang second·1ire de président .du,Co:1s~il. de, ministres. C'est l'échec de ce coup d'Etat qui) à r~t-~rdement, incite à divulgu-~r les dissensi ')US i:it..;rleures au monolithisme, contrairement à l'interprétation Biblioteca Gjno Bianco LE CONTRAT SOCIAL courante imputant à ces dissensions la crise de . 1957 mise en pleine lumière au Congrès de 1961. Sans la tentative de supplanter Khrouchtchev au Secrétariat, laquelle eût été suivie de massacres à la Staline, on eût ignoré longtemps les divergences de vues dissimulées derrière la façade monolithique. Les bolchéviks ont toujours largement discuté entre eux, dans leur cc cercle clandestin de dirigeants », les décisions pratiques à prendre, quitte à reconnaître l'opinion de la majorité comme loi commune (sauf, bien entendu, sous Staline, qui faisait loi à lui seul dans ses phases terroristes). Ce ne sont pas les désaccords secondaires qui motivent la disgrâce, c'est la disgrâce causée par la lutte pour le pouvoir qui motive la dénonciation des désaccords antérieurs. Il y a là une technique établie en tradition chez les ex-bolchéviks pour discréditer des· vaincus hors d'état de se défendre. Trotski n'avait pas été réprouvé, puis accablé, honni, banni, à cause de sa théorie sur la « révolution perma"'.'" nente » oubliée depuis 1905, ni en raison de ses anciennes querelles avec Lénine, ni à cause de sa conception du rôle des syndicats, etc., mais parce que sa prééminence après la mort de Lénine eût entraîné un renversement de majorité au Comité central, un renouvellement du Politburo et du Secrétariat; sa défaite n'a pas été due à la cc révolution permanente », mais au contraire les vieux griefs de jadis ont été exhumés par suite de sa défaite. De même Zinoviev, Kamenev et Boukharine étaient intangibles tant qu'ils servaient l'ascension de Staline; dès qu'ils se mirent à la desservir, l'oligarchie régnante ouvrit à leur détriment les vieux dossiers dépositaires de disputes périmées, étant admis comme vérité révélée que Lénine était infaillible, donc que quiconque détient le pouvoir perpétue l'infaillibilité de Lénine. On ne mentionne ici que des prototypes, mais la méthode s'applique à la multitude des déviationnistes, des hérétiques, des suspects. Le tour de Molotov et c~nsorts est venu, non parce qu'ils ont eu tort dans les controverses à huis clos, mais parce qu'ils ont manqué . leur coup contre Khrouchtchev, incarnation ·présente du Comité central. On apprend ainsi de source sûre quel était, avant juin 1957, l'envers du monolithisme ostentatoire. « Le Comité central s'est heurté à la résistance de Molotov, Kaganovitch, Malenkov et autres membres du groupe antiparti qui s'opposaient à plusieurs mesures économiques et politiques appliquées par le Comité central sur l'initiative de N. S. Khrouchtchev pour rectifier les erreu~ tolérées dans le passé ét stimuler l'économie du pays», dit en termes vagues K. T. Mazourov. Le groupe antiparti « est intervenu littéralement contre toutes les mesures du Parti concernant les plus importantes questions de politique intérieure et extérieure », à en croire D. S. Polianski. Ce groupe « s'opposait invariablement à toutes les propositions du camarade Khrouchtchev», confirme I. G. lgna-

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