38 enferré: il suggère dans sa traduction que l'accusé s'est converti au «racisme», et dans son commentaire il avoue que ce n'est pas vrai. L'avocat de la défense reprend alors la parole pour achever la déconfiture du maladroit. Prenant acte de l'allusion à Edmund Husserl, il remarque que, du même coup, M. Faye, se confondant lui-même, a confondu un de ses collègues. Dans un petit livre de la collection « Que sais-je ? » consacré à La Phénoménologie, M. J.-F. Lyotard écrivait en 1954 : « Husserl, sous la pression du régime nazi, avait dû abandonner sa chaire à Fribourg où lui succède Heidegger» (pp. 11-12 sqq.). Précisons que Husserl était juif. Or les faits sont là : c'est en 1928 que l'honora,riat (éméritat) fut conféré à Husserl et l' ordinariat à Heidegger. Voilà comment on enseigne l'histoire, y compris celle de la philosophie. Il est vrai qu'en 1942, à la demande de l'éditeur, la dédicace de Heidegger à Husserl disparaissait de la 4e édition de :Sein und Zeit. Mais une note incorporée au texte maintenait l'hommage du philosophe «aryen » à son vieux maître d'origine israélite. C'est sans doute ce que M. Faye à voulu dire en parlant de « fidélité à Husserl ». Cependant c'est au même endroit que l'étrange expert maintient la traduction de volkisch . par «raciste» et entreprend de la justifier en présentant un texte extrait de l'ouvrage canonique Mein Kampf : « ... le plus haut but de l'Etat raciste ( des volkischen Staates) est le souci de conserver ces éléments raciaux originaires ( die Sorge um die Erhaltung derjenigen r.assischen Urelemente) » (loc. cit., p. 154). Hitler luimême a parlé, ou plutôt M. Faye a entrepris de le faire parler en français, commettant de surcroît l'imprudence de donner l'original entre parenthèses. L'inanité de la traduction saute aux yeux : le texte distingue volkisch de rassisch; si les deux termes étaient· synonymes, Hitler n'aurait proféré qu'une lapalissade. Mais, s'exprimant en allemand avec clarté, malgré son inculture, il a nettement distingué le moyen (l'Etat national ou populaire) et le but (la préservation de la race). Il s'ensuit que, même dans le contexte le plus auth~ntiquement hitlérien, volkisch ne saurait se traduire par« raciste». L'expert a fourni lui-même les verges pout .le battre. N'en étant pas à une incohérence près, M. Faye entreprend ensuite de prouver qùe Je n~tional-socialisme allemand n'était pas nécessairement un racisme, donc wi «biologisme ». Il· fait alors valoir comme argument qu'e~ 1908, à Vienne, paraissait une Revue d~$ blonq,~ qu'Hitler lisait déjà peut-être (loc. cit.; .-p.. t55): _._AinsJ ~a èouleur du cheveu ne serait pa.s:,-,µn,..phénoiriènebiolo~ gigue-_?L~ charité. fâjt_ un ciyyo~rd~1pâsser. Elle ne permet cep~ndant~pas' ·éi~om~ttrequ'en un autre endroit M. 'Faye-recourt encore ·-unefois au procédé qui lui :>ï,erµiet de présenter, sous couleur de traduction, -~ 1 _réquisitoire.T-raduisant lui-même avec q~elque liberté un texte de Platon, · ·Heidegger avait écrit.:·: «1'Alle:tGrosse steht im Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Sturm. » Personne n'ignore qu'en allemand classique ou romantique Sturm signifie « tempête »; . est-il utile de recourir au fameux Sturm und Drang? Cependant M. Faye «traduit» : « Toute grandeur est dans l'assaut. » La malice est cousue en forme de croix gammée. Se souvenant qu'un misérable folliculaire publiait en ce temps-là Der Stürmer, l'expert espère évoquer ainsi les fameuses « sections d'assaut» et faire bondir le lecteur. Lorsque' le texte allemand ne sert pas, ou dessert, les intérêts du réquisitoire, M. Faye coupe, mais sans prévenir, plaçant des points de suspension qu'on pourrait attribuer à l'original. Ainsi, p. 148, cinq pages du texte· de Heidegger ont été pudiquement supprimées. En s'y reportant, on observe qu'évoquant la relation du maître et du disciple, le philosophe allemand légitimait le WùJ,erstand lorsqu'il y a Führung. Widerstand se traduit par «résistance». En corrélation avec Führung, qui fait songer à Führer, le tableau qui veut faire croire au nazisme inconditionnel de Heidegger aurait été déparé. A la décharge de l'expert mentionnera-t-on que, par ses soins, un écrivain français célèbre n'est pas mieux traité que Heidegger ou Hitler lui-même ? Inaugurant son commentaire, il évoque en effet 1~« frénésie d'antisémitisme» de Georges Bernanos dans La Grande Peur des bien-pensants (loc. cit., p. 151). Il est vraisemblable que M. Faye n'a pas. lu l'ouvrage qu'il cite, mais qu'il a seulement entendu dire qu'il y était question de Drumont, ce qui lui a· suffi. Il est significatif que la maison qui livre un Heidegger-Gœbbels offre en prime un Bernanos-Céline. On n'accusera pas cette firme d'un parti pris de germanophobie. Curieuses Médiations, tout de même ... · Enfin, dans sa péroraison, M. Faye cite des vers de Georg Trakl qui sont d'un grand effet. Il oublie de dire que ce n'est pas lui qui les a choisis, mais Heidegger lui-même et qu'il a purement et simplement emprunté la traduction, par W. Brokmeier et Jean Beaufret, du texte où ils figuraient 1 • OUBLIONS ces petites misères. Certaines questions sont dignes d'être agitées au fond. M. Faye soulevait un problème intéressant lorsqu'il se demandait si le nazisme peut être séparé du «biologisme » raciste. Omettons l'incongru recours à la Revue des blonds pour procéder à un Gedaµkexperiment. Du nazisme, retranchant l'antisémitisme raciste, que reste-t-il ? Apparemment le nationalisme allemand à forme de pangermanisme. A l'époque où Heidegger prononçait ses discour~ rectoraux, le parti des «Allemands- . : I. Profitons-en poùr remercier M. Jean Beaufret, qui nous a fourni plusieurs renseignements éc · irants.
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