Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

A. A. COHEN un penseur original., suit du moins une ligne marxiste-léniniste correcte et orthodoxe. Il semble donc raisonnaole de conclure : ou bien les versions publiées ont été écrites beaucoup plus tard que ne le prétendent les communistes., ou bien les prétendues conférences de 1937 ont été tellement remaniées qu'il s'agit en fait de textes tout à fait différents. Théorie de la révolution de Mao VOILA ce qu'il en est de la prétention de Mao au titre de « créateur » en matérialisme dialectique marxiste. Cela dit, a-t-il le droit de prétendre plus sérieusement à l'originalité en ce qui concerne les principes du processus révolutionnaire ? Les communistes chinois reconnaissent, il est vrai, que l'analyse générale des problèmes de la révolution chinoise due à Mao se conforme essentiellement aux concepts de Lénine et de Staline. Tchang Jou-hsin, par exemple, écrivait en 1953 que, au cours de la première guerre civile révolutionnaire · (1924-27), «le camarade Mao Tsétoung (...) disciple fidèle et compagnon d'armes de Staline.,confirmait les points de vue de Lénine et Staline sur les problèmes de la révolution en Chine» 6 • Néanmoins, les Chinois soulignent la valeur originale des conclusions de Mao, fruit de sa propre analyse des conditions régnant en Chine et non emprunt pur et simple aux idées de Lénine et de Staline. Tchang Jou-hsin dit encore (dans l'article cité plus haut, lequel était en fait un hommage à Staline, publié peu après la mort de celui-ci), que Mao arriva «aux mêmes conclusions que Staline quant aux problèmes fondamentaux de la révolution chinoise ». Un autre auteur chinois, Chen Tchih-youan, abonde dans le même sens dans un article publié en 1952. Tout en reconnaissant ce que, d'une manière· générale, Mao doit à Lénine et Staline., il tempère ce point de vue en constatant qu'en 1924-27 lesécrits de Lénine et de Staline «n'avaient été que très peu répandus en Chine ». Pourtant., ajoute-t-il, le président Mao avait déjà terminé à l'époque, ou même un peu avant, son analyse des classes dans la société chinoise et son rapport sur le mouvement paysan du Hounan (...) en faisant preuve d'un pouvoir de réflexion indépendant». Mais Tchang aussi bien que Chen oublient tout simplement de dire que la politique des communistes chinois au milieu et à la fin des années 20, ainsi que ses justifications théoriques, furent dictées par les nombreuses directives du Comintern, inspirées et approuvées par Staline. Ce qui n'empêche point les Chinois de renchérir en faveur de Mao. Tchen Po-ta, panégyriste en chef, écrivait en 1951 (\UeMao « s'en tenait fermement à (...) la théorie de Lénine-Staline 5. • Les grandes contributions th~oriqucs de Staline à la r~volution chinoise •, in Quotidien du peuple, P~kin, 3 avril 1953. Biblioteca Gino Bianco 7 sur le 'leadership du prolétariat et développait cette théorie de manière concrète » 6 ( souligné par nous). Tchen faisait allusion au concept du leadership prolétarien plutôt que bourgeois de la première étape de la révolution qui visait à renverser cc le féodalisme et la monarchie». Or on ne voit pas en quoi Mao a « développé » la thèse de Lénine, soutenue dès 1905 dans Deux tactiquesde la social-démocratiedans la révolution démocratique: le prolétariat doit être le « leader » et non pas un auxiliaire de la bourgeoisie dans l'accomplissement ·de la révolution bourgeoisedémocratique. Tchang Jou-hsin prétend que Mao fut le premier à proposer la double thèse selon laquelle les révolutions dans les pays arriérés, telle la Chine., sont avant tout des révolutions paysannes et que les paysans pauvres sont la force principale et l'allié le plus sûr des ouvriers. Ce faisant, Tchang passe sous silence l'un des. premiers écrits de Lénine, Le Programme agraire de la social-démocratie (1907), qui atteste que, longtemps avant Mao, il avait reconnu le rôle important du paysannat, surtout du paysannat pauvre, au cours de la première étape du processus révolutionnaire. Lénine écrivait : Nous devons avoir une idée claire du caractère et de la signification de la révolution agraire paysanne comme une des variantes de la révolution bourgeoise ... Certains marxistes, ceux de l'aile droite, n'ont pas cessé de donner dans une conception abstraite, stéréotypée de la révolution bourgeoise, et n'ont pas su voir les traits particuliers de la révolution bourgeoise actuelle, qui est très exactement une révolution paysanpe. Dans le même ouvrage, Lénine avait parlé du « prolétariat rural » comme de la force révolutionnaire principale dans les campagnes, utilisant ce terme dans le sens que lui avait prêté Engels dans La Questionpaysanne en France et en Allemagne (1894), c'est-à-dire pour distinguer les ouvriers agricoles des grands et petits propriétaires fonciers. Des contemporains de Lénine en apportent de nouvelles preuves. Critiquant le programme de révolution de Lénine, le leader menchévique Georges Plékhanov écrivait (dans La Classe ouvrière et l'intelligentsia social-démocrate) : « Ce n'est pas le marxisme que nous trouvons dans les vues de Lénine, mais, pour user d'un terme mal famé, l'insurrectionnisme paysan, une nouvelle version de la théorie des héros qui mènent la racaille. » En 1924, Zinoviev voyait la clef du léninisme dans l'importance que celui-ci attachait à la question agraire. « Le léninisme, écrivait-il, c'est le marxisme à une époque de guerre impérialiste et de révolution mondiale qui commença sans étapes intermédiaires dans un pays où le paysannat prédomine 7 • » 6. • La théorie de la révolution chinoise de Mao Tsbtoung est l'intégration du marxisme-léninisme à la pratique de la révolution chinoise », in Hsueh-hsi, Pékin, 1"r juillet 1951. 7. • Bolchévisme ou trotskisme », in Pravda1 20 nov. 192+

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