314 fête de toute l'humanité éprise de liberté» (Pravda, 27 novembre). Ainsi l'encre du dernier volume de cet ouvrage monumental est à peine sèche que le besoin se fait sentir de tout recommencer. Il y a pourtant un tome supplémentaire qui corrige partiellement certains mensonges par trop criants des volumes édités sous Staline, outre un supplément annuel depuis 1958. Mais même ces tomes supplémentaires sont déjà périmés, ne répondent plus aux préoccupations utilitaires des dirigeants pour qui la vérité objective est un préjugé bourgeois damnable. A aucun moment le vieux Pétrov, dont le seul titre intellectuel est sa carte du Parti « depuis 1896 » (à supposer même que ce soit vrai), ne se réfère au devoir de respecter la vérité : les encyclopédistes devront peiner sous le harnais du programme du Parti, introduire bon gré mal gré le gai savoir dans le triste schéma du néomarxisme-léninisme, version revue et corrigée du stalinisme. On leur accorde six ans pour abattre la besogne. Comme si cela ne suffisait pas, l'infatigable Pétrov qui ne doute de rien (il a survécu à Staline) annonce une autre bonne nouvelle: « De la haute tribune du Congrès, je voudrais poser la question d'une édition entièrement nouvelle, jamais vue dans l'histoire, celle d'une Encyclopédie universelle du communisme ( applaudissements) . Cette édition doit être créée par les forces des partis communistes et ouvriers de tous les pays, les savants progressifs du monde contemporain tout entier. Maintenant que des centaines de millions d'individus inspirés des idéaux du communisme édifient un monde nouveau, que l'humanité a hérité de la science constructive du socialisme éprouvée par l'expérience de !'U.R.S.S. et des autres pays socialistes, que le marxismeléninisme domine les esprits de l'humanité avancée, l'édition d'une Encyclopédie universelle du communisme devient une nécessité vitale. Cette encyclopédie doit présenter le marxismeléninis1_11ceomme un système complet et harmonieux de concepts philosophiques, économiques et socio-politiques. Elle est appelée à montrer comment la théorie du communisme scientifique ·s'incarne dans la réalité, à généraliser l'expérience de la construction socialiste et communiste en U.R.S.S. et dans les autres pays du camp socialiste. Elle doit montrer la voie de développement du socialisme, depuis les idéaux utopiques des penseurs jusqu'au socialisme dans la vie, au communisme scientifique ; la voie qui, d~s premiers communistes utopistes, rêvant des cités ensoleillées de l'avenir, conduit au communisme scientifique de Marx-Lénine ; la voie qui mène de Spartacus, chef des esclaves révoltés de Rome, au chef viril de la révolution cubaine, Fidel Castro (applaudissements) ; la voie qui relie la légende d'Icare aux vol~ cosmiques accomplis Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL pour· la première fois au monde par des hommes soviétiques, Iouri Gagarine et Herman Titov », etc. L'orateur préposé au discours « culturel » parle ainsi pendant des heures, mais tout bref échantillon de son verbiage (amélioré ici· à la traduction) montre vite à quel niveau s'est abaissé le parti historico-scientifique de « l'humanité avancée». L'homo sovieticus daigne généraliser, au profit du monde contemporain, sa dérisoire «expérience» fondée sur des millions de cadavres ; il entend généraliser aussi celle de l'homo pekiniensis fier de ses cent fleurs qui ont vécu l'espace d'un matin, de son acier vermoulu et de ses communes faméliques. On sait d'avance ce qu'apporteront, en général, ses nouvelles encyclopédies fondées «sur la puissante base théorique du nouveau programme» (mises à part les rubriques de sciences exactes, confiées à des spécia- " listes qui se moquent du diamat). Ce qu'on ignore, et qui n'importe guère, ce sont les pages que des dirigeants infaillibles prescriront de retrancher au rasoir après la sortie de tel ou tel volume. LA PÉRORAISON du discours cité ouvre des perspectives grandioses : « Dans les conditions présentes, alors que les idées du communisme possèdent une force d'attraction colossale, !'Encyclopédie universelle du communisme publiée _en des dizaines de langues pénétrera dans tous les coins du monde. Elle sera l'encyclopédie internationale des peuples du globe terrestre, le trésor culturel de toute l'humanité progressiste », etc. Mais ce langage est tenu dans un Congrès «historique »où, devant les élites du communisme « scientifique », les principaux mentors du « glorieux parti de Lénine » ont avoué explicitement que leurs éminents prédécesseurs étaient des bourreaux et des assassins, coupables de « répressions en masse » absolument injustifiées qui ont fait des milliers et des milliers de victimes parmi leurs propres camarades, pour ne rien dire des millions d'autres victimes. Encore ont-ils, ces 1_11ento.rlsa,issé dans le vague leurs allusions à ·«l'affaire_,,Kirov, à « l'affaire ,, de Léningrad; à plusieurs «affaires,, inavouables jusqu'à présent dans le détail, réservant sans doute les précisions pour un congrès ultérieur. Tant qu'un incontestable souci de la vérité historique et scientifique ne prévaudra pas enfin à Moscou sur le pseudomarxisme-léninisme pour garantir la coexistence pacifique des assassins et des victimes dans une même édition sérieuse, exacte et durable de l'Encyclopédie, soviétique, les congrès communistes pourront se succéder sans ouvrir une ère de liberté annonciatrice de coexistence pacifique réelle dans le monde. B. SOUVARINE.
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