B. SOUV ARINE pseudonyme du stalinisme, était mis réellement à l'ordre du jour. Au cas où des esprits forts en Occident seraient tentés de moquer la camarade Lazourkina au crâne bourré de diamat (matérialisme dialectique) laïque, gratuit et obligatoire, mais au cœur plein d'Ilitch et débordant d'inspiration mystique, on doit leur faire observer que les sujets soviétiques abrutis par la tyrannie stalinienne sont plus à plaindre qu'à blâmer, au contraire des hommes d'Etat, des politiciens, des diplomates, des publicistes occidentaux, des sorbonnards et des snobs qui ont payé tribut d'admiration au plus hideux despote qu'ait connu l'histoire. Il est permis de se demander si la déstalinisation stalinienne se tiendra dans les limites conçues par ses promoteurs. Dans un pays qui a engendré les décembristes, les populistes, les anarchistes, les maximalistes, qui a produit des régicides, des dynamiteurs, des terroristes et des révoltés de toutes sortes, qui a donné naissance à un Bakounine, à un Tchernychevski, à un Tkatchev et à un Lénine, le cours des événements n'apparaît nullement tracé d'avance, pas même par ceux que Staline a formés comme « ingénieurs des âmes». Mais si l'Etat soviétique a bien des tares, il n'est pas entre des mains débiles et ce serait s'aventurer que d'anticiper sur une évolution qui s'annonce très lente. Certes, personne ne pressentait à la mi-octobre que Staline allait être exclu du mausolée à la fin du mois, mais cela ne laisse pas encore prévoir comme proche la destruction du mausolée même, condition nécessaire sinon suffisante de déstalinisation véritable. Le compte rendu du Congrès dans la Pravda ne prête pas à se nourrir d'illusions : on n'a que l'embarras du choix pour connaître la mentalité des staliniens déstalinisateurs. UN DES TRAITS les plus frappants et significatifs du stalinisme est la pratique éhontée des falsifications historiques, affectant le présent autant que le passé pour mieux prédire un avenir conforme aux vues du pouvoir. Cela se traduit non seulement dans la presse et la propagande vulgaires, mais dans les manuels scolaires, les livres d'histoire, les encyclopédies et les dictionnaires, dans les ouvrages les plus doctes réputés « scientifiques ». D'une édition à l'autre, les faits les mieux avérés, les vérités les moins contestables changent du tout au tout selon les besoins de la politique courante. Les biographies de personnages en vedette dépendent particulièrement des fluctuations de la « ligne » officielle et des péripéties de luttes intestines au Kremlin. On a vu des tomes d'encyclopédies interrompus en cours d'impression pour subir des modifications, altérations ou suppressions commandées par les considérations mesquines du moment. Sans reculer devant le scandale ni le Biblioteca Gino Bianco 313 ridicule, les « Editions d'Etat scientifiques » (sic) de Moscou osent, par circulaire, enjoindre aux souscripteurs de leur Grande Encyclopédie Soviétique de retrancher au rasoir les pages apologétiques sur Béria (t. 5, pp. 21-24) pour les remplacer par d'autres. Elles récidivent après le suicide ( ?) de Kao Kang et substituent sans vergogne une nouvelle page à l'ancienne (t. 1 o, p. 213). Une rétractation aussi retentissante qu'insincère est publiée dans la revue doctrinale du Parti, pour des raisons diplomatiques, quand New Delhi s'indigne des articles stupides et injurieux de la même Encyclopédie sur Gandhi et le gandhisme. Molotov, Kaganovitch, Malenkov, qui trônaient en éminence dans les deux premières éditions de la Petite Encyclopédie Soviétique, surtout dans la deuxième, ont complètement disparu de la troisième. « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument » et permet de supprimer tantôt les vivants, tantôt les morts. La science «historique» et l'histoire « scientifique » atteignent leur apogée avec la biographie de Staline et l' Histoire du Parti quand s'estompe le cauchemar du césaro-papisme appelé par antiphrase « dictature du prolétariat » : ladite biographie est retirée de la circulation, puis remaniée de fond en comble, expurgée, rapetissée, réduite à six pages (au lieu d'une centaine dans l'édition précédente) pour le quarantième volume de l'Encyclopédie paru avec deux ans de retard laborieux sur le quarante et unième ; l' Histoire stalinienne du Parti tirée à plus de cinquante millions d'exemplaires, bientôt jetée aux ordures, sera supplantée par une version révisée, refondue, déstalinisée, non moins indigne de créance à sa façon que la devancière, et déjà sujette à caution. Le sort de ces deux livrespilotes aux tirages fantastiques dispense d'insister sur l'épuration permanente des bibliothèques soviétiques depuis la chute de Trotski jusqu'à la toute récente déchéance de Vorochilov, biographe militaire malchanceux de Staline. Or un certain F. N. Pétrov, « membre du Parti depuis 1896 », donc un des très rares rescapés des fureurs homicides de Staline (lequel s'acharnait à faire périr les « anciens »), était chargé d'annoncer au Congrès la bonne nouvelle : « Mais déjà la question mûrit d'entreprendre une troisième édition de la Grande Encyclopédie Soviétique. Ce devra être l'encyclopédie de l'époque du communisme en plein essor (applaudissements), fondée sur la puissante base théorique du nouveau programme de notre parti (applaudissements). La troisième édition de la Grande Encyclopédie Soviétique reflétera le plus récent niveau des connaissances scientifiques contemporaines, les grandes transformations sociales de notre époque, él'oque de l'effondrement du capitalisme et de la victoire du communisme (applaudissements). Savants et écrivains communistes ont les forces nécessaires à éditer la nouvelle encyclopédie pour le cinquantenaire du pouvoir soviétique,
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==