Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

QUELQUES LIVRES nullement à nier l'existence et le poids des problèmes sociaux et des groupes sociaux. Examiner les nécessités politiques du régime, c'est considérer la politique comme la résultante d'une infinité de données, où les groupes sociaux - tous les groupes sociaux, chacun selon son poids - ont leur large place, parmi d'autres données. Il y aurait bien d'autres remarques à faire sur cet ouvrage où l'histoire ne cesse d'être violentée par un esprit systématique. On se bornera· à noter qu'il est étrange d'accorder une telle importance à la conscience de classe, et de se désintéresser complètement des textes où aurait pu s'exprimer cette conscience : l'auteur s'est en ·effetdispensé d'ouvrir un seul livre d'un bourgeois de ce temps-là. Au fond, M. Lhomme a été desservi par l'assurance avec laquelle il a entrepris son travail, et plus encore par cette méthode des économistes qui ne peut rien donner de bon en histoire. A plusieurs reprises, il parle de la « systématisation» à laquelle il se livre. Par exemple, parlant des ambitions bourgeoises sous Louis-Philippe, il dira : « Ce n'était pas encore très net et nous aurons à faire, à ce sujet, un assez gros effort de systématisation » (p. 49). Phrase parfaitement naturelle sous la plume d'un économiste, et parfaitement monstrueuse sous celle d'un historien. En · dix endroits il exposera que sa façon de décrire les classes ne répond pas à la réalité. Par exemple p. 114 : Il va de soi que, pas plus que les autres classes, la grande bourgeoisie ne possède de contours définis de façon tout à fait précise. Mais au total, notre excès de rigueur doit tout de même être préféré à ce vagu~ qui régna si longtemps et qui devait avoir de si graves conséquences. · (Les graves conséquences, c'est que ce vague aurait permis à la grande bourgeoisie de masquer à la moyenne ses intérêts divergents.) Ou· p. 352: Les ensembles que nous avons fait défiler, manœuvrer, lutter sous les yeux du lecteur, bourgeoisies de diverses natures, prolétariat, ruraux, n'ont jamais eu la cohésion, la rigidité à quoi nous obligeait une description globale. Tout ce Kriegspiel montre bien l'économiste au travail : il cherche à systématiser de façon à aboutir à des concepts simples qui puissent orienter l'action. Il n'est pas absolument_certain que cette méthode ait toujours servi la connais-· sance des phénomènes économiques. Mais il est absolument certain qu'elle est parfaitement contraire à tout esprit historique. Car en matière d'histoire - en dépit des idées de M. Lhomme sur les « graves conséquences» qu'entraîne la description honnête de ce qui est - en matière d'histoire, ce qui compte, c'est la connaissance, et non l'action. Que si d'ailleurs l'action cherche à s'inspirer des leçons de l'histoire, une histoire truquée n'est sans doute pas le champ idéal où elle trouvera sa nourriture. YVES LÉVY. Biblioteca Gino Bianco 371 Cet Orient rêveur MICHEL MOURRE : Les Religions et les philosophies d'Asie. Paris 1961, La Table ronde, 451 pp. BIEN PEU se souviennent encore du scandale de Notre-Dame de Paris qui aboutit rapidement, après une sorte de confession générale, à la mutation du pénitent en écrivain sérieux, parlant de ·Maurras, de Lamennais, élargissant aujourd'hui un thème de Gobineau en défalquant un adjectif. Le présent travail n'est pas celui d'un spécialiste, mais d'un honnête compilateur de documents puisés à des sources autorisées, soigneusement rangés sous des têtes de chapitres, suivis d'utiles tableaux synoptiques. On se déplace de la Babylonie au Japon en passant par l'Iran, l'Inde et la Chine ; on effectue aussi le voyage dans le temps 'lorsqu'on passe du brahmanisme au bouddhisme, de la Chine classique au confucianisme et au _taoïsme. Enfin l'ultime chapitre nous ramène en Occident pour assister à la découverte progressive de l'Orient, de l'Antiquité à nos jours, tandis que l'auteur remarque qu'entre-temps l'Orient de nos rêves s'est occidentalisé. Il faut savoir gré à M. Mourre de son souci, dans chaque .cas, de conduire jusqu'à l'époque contemporaine ..le lecteur curieux de savoir ce qui est vivant et ce qui est m_ort de ces religions et de ces philosophies. Bien que l'auteur compte cinq grandes religions dans son premier tableau synoptique (la première .étant double et la dernière plurale) : judaïsme et christianisme, mahométisme, hindouisme, bouddhisme, religions chinoises, le lecteur aura remarqué que l'on sépare malaisément religions et philosophies à mesure que l'on se déplace <l'Ouest en Est. C'est peut-être l'occasion de rappeler que, prenant le mot « religion )> dans un sens assez étroit, René Guénon n'en distinguait que trois: le judaïsme, le christianisme, l'islam. Mais M. Mourre va plus loin que Guénon lui-même . lorsqu'il qualifie d' « hérésies )> le bouddhisme et le jaïnisme : on sait que, sous l'influence d'A.· Coomaraswamy, l'auteur de l' Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues (que l'on est un peu surpris de ne pas voir citée, même dans le dernier chapitre) avait fini par renoncer -à cette désignation, de peu de sens en Orient. N'étant pas spécialiste, M. Mourre s'est sagement abstenu de points de vue originaux. On retrouvera dans sa bibliographie, parmi les ouvrages de grande et petite vulgarisation mentionnés, la substance des informations offertes. Il reste qu'il a accompli un utile travail de regroupement. Les développements qu'il consacre au .·shinto japonais correspondent peut-être à ce qu'il y a de moins connu, notamment en ce qui concerne le caractère « primitif » de ce culte · patriotique officiel, théoriquement aboli en 1945. Notons latéralement qu'au sujet de la religion plus « primitive » encore des Aïnos, lesquels

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