368 les prémisses d'où l'on était parti, et qui n'ont jamais cessé d'être du voyage. Tous les problèm~s historiques font partie de ces questions complexes dont les éléments sont nombreux. Et ils sJnt abordés selon les deux méthodes. La pre~ère - la méthode !ngr~te.- est celle des historiens. Les autres, d ordinaire, préfèrent la seconde. « Je veux pro_uv~; te~le chose, donnez-moi les document" qw 1 etabbssent », disait M. Taine aux con~ervateurs des archives publiques. C'est que M. Taine, remarque d'Arbois de Jubainville, était un philosophe. Marx, qui était à la fois philosophe et économi~te, ne trouvait lui aussi dans l'histoire que ce qu'il y avait mis. Et de même M. Lhomme, qui n'est qu'économiste. * lf- lf- .. L'économiste est un être tout à fait différent de l'historien. L'historien étudie de l'individuel, du concret. L'économiste s'efforce de construire des schémas qui ren~ent co~pte de l::t façon dont - avec ou sans 1ntervent1on consciente - fonctionnent les mécanismes de production, d'échange, de répartition. Ces. schémas, . il les essaie sur les données fourntes par diverses situations réelles. S'il a le sentiment que ses schémas sont correctement construits, il estime avoir décrit le réel. Le réel, pour lui, c'est donc un schéma abstrait, et non les situations concrètes et diverses qui lui ont permis de le vérifier. La démarche de l'économiste, on le voit, va à peu près à l'inverse de celle de l'historien. · C'est cette méthode que M. Lhomme applique à un demi-siècle de notre histoire. Il ne fait pas, comme tant d'autres, de la philosophie de l'histoire - nous avons dit qu'il n'est pas philosophe - mais, sur un plan beaucoup plus restreint, son procédé offre cependant quelque analogie avec la philosophie de l'histoire. Il vient avec son schéma, et nous donne le fin mot du x1xe siècle. Le schéma sort justifié de sa confrontation avec l'histoire. Il est vrai que nous savions d'avance qu'il gagnerait la partie. L'histoire est bonne fille et se laisse tirer des mains précisément les cartes qu'on lui demande. C'est pourquoi les philosophes et les économistes ne cessent de gagner la partie qu'ils engagent contre elle. La gagner devant les historiens, c'est une autre affaire. * lf- lfLe schéma de M. Lhomme est d'origine marxiste. L'auteur à vrai dire a grand soin (notes des pp. 3 et 5) de se séparer du marxisme, mais Marx est cependant cité occasionnellement (p. 221) comme une autorité, en tant qu'il a expliqué l'histoire par les relations entre des classes. M. Lhomme appelle histoire sociale « l'étude de l'évolution, dans le temps, des rapports e~tre groupes sociaux » (p. 6). Ces groupes sociaux sont, au commencement de la période considéF~e, l'aristocratie foncière, la grande bourgeo1s1e, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL les classes moyennes, le monde rural et le «peuple». Les guillemets sont de l'auteur, qui , . prec1se : Les classes dites moyennes, comme le monde rural, sont au mieux des groupes sociaux ressemblant à des clas;es. On n'y'trouve pas l'homogénéité qui caractérise au contraire les véritables classes, le cc peuple » comme la grande bourgeoisie (p. 4). Selon l'auteur, la classe se définit par une fonction et une conscience de classe (p. I ). Et il considère que les classes sont en l~tte pour _la suprématie, c'est-à-dire P?Ur le~ _trots pouvo1~s qu'il dénombre : .pouv~>tr politique, po!1vo1r économique, pouv"lr social, c~ ~ernter c?nststant dans la faculté d'agfr sur l'opiruon publique par tous les moyens autres que politiques ou économiques (il semble que cela concerne surtout les thèmes de propagande e~ la possibilité ?~ les répandre). La donnée essentielle, dans. l::tpe;tod~ considérée, c'est que la grande b?urgeo1s1~a et~bh sa suprématie (1830-1848) pws, la revolu!ion de 1848 l'ayant privée d'avantages essentiels, est néanmoins parvenue à « prendre des tournants» - en 1848, sous le Second Empire et en 1871 - et a su faire jouer un « effet compensateur », de sorte qu'elle a pu maint_enir,sa.suprématie (1848-1870) avant de la voir dechner et disparaître (1871-1879). Ce résumé historique, à la vérité, n'a rien dè très neuf. Les contemporains eux-mêmes ont été sensibles à cette évolution, et nombreux sont ceux qui ave~ Taine et ~enan o~t, après 1880, déploré ~e voir la vague demo~ratiq1;1seubmerger l'élite mise en place par la revolution de 1830. Quant à la date de 1879, que l'auteur a trouvée chez Daniel Halévy et René Rémond (p. 271), elle a été fixée dès 1908 par Gabriel Hanotaux (Histoire de la France contemporaine, tome IV, p. 415), qui _l~i donne sa pleine ,s~gnification sociale et politique 1 • ~an?tau~ prec1se que _le jour crucial est le 5 Janvier, Jour du premier renouvellement triennal d'un tiers du Sénat. Cette assemblée avait été conçue comme un frein mis à la fureur du suffrage universel, mais le raz de marée républicain fut tel, qu'en dépit des inamovibles la majorité changea de côté. Hanotaux souligne l'enjeu de cette journée: Il s'agit de savoir si les anciennes classes dirigeantes ont conservé sur le pays une prise telle qu'elles puissent, sinon garder le pouvoir, du moins rester dans la société nouvelle, à l'état de corps privilégié ayant ses droits, ses armes et ses moyens de défense. Telle est la ques .. tion qui est posée au suffrage... · Le 5 janvier( ...) les électeurs sénatoriaux, les électeurs du suffrage à deux degrés, se prononcèrent en faveur des institutions républicaines et démocratiques. Hanotaux s'exprime fort clairement. Et si l'on se demande ce que M. Lhomme ajoute à 1. Daniel Halévy donne d'ailleurs sa source (cf. Pour l'étude de la troisième République, Parîs 1937, p. 17).
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