QUELQUES LIVRES R. M. Weaver, Conway Zirkle. Princeton 1961, D. Van Nostrand Co, 259 pp. CERTAINSsoupirent qu'Einstein a démontré que tout est relatif. Incongruité évidente, l'illustre physicien ayant eu pour objet de donner aux lois de la nature une forme indépendante du choix du système de référence. D'autre part, il suffit de considérer attentivement la célèbre formule d'Auguste Comte : «Tout est relatif, et cela seul est absolu» pour s'apercevoir qu'elle est autocontradictoire. Un alexandrin systématique, à la façon du maître, dirait mieux : s'il est du relatif, il faut de l'absolu. Dans ces conditions, on conçoit que le relativiste absolutiste - en quelque domaine qu'il exerce ses talents - finisse, faisant réflexion, par se découvrir man-afraid-of-his-mind, selon l'expression de J. C. Malin qu'on peut traduire librement en évoquant la «mauvaise conscience ». La discussion ne risque pas de se perdre dans les espaces cosmiques lorsqu'il s'agit du relativisme moral et politique, lequel rejoint nos préoccupations immédiates. Non sans quelque malignité, le problème est fort bien posé par Leo Strauss à propos de la distinction de Sir Isaiah Berlin entre deux concepts de la liberté, distinction que nous avons commentée ici même (Contrat social de juillet 1959). Ayant noté qu'après avoir utilisé un argument « relativiste » pour critiquer la liberté rationnelle, qui suppose que les buts de l'action humaine peuvent être imposés a priori, I. Berlin n'hésite pas à faire un « absolu» de la simple « liberté civile » chère aux Occidentaux, Leo Strauss le taxe d'inconsistance. De quel droit refuserait-il à l'adversaire la liberté d'imposer sa conception d'une sage liberté dictée par la police? Mais le philosophe paraît équitable puisqu'il s'en prend aussi à Georg Lukacs admettant que le marxisme doit s'appliquer au marxisme lui-même. S'il en est ainsi, il serait légitime d'étendre la critique marxiste à la société qui se dit «marxiste», de telle sorte qu'elle ne parût plus la réalisation de l'Absolu sur terre. Si le «marxiste » préfère absolutiser sa conception pour fuir cette pénible extrémité, il lui faut aussi renoncer au relativisme moral et politique dont il a fait son arme critique. Nous pensons cependant que le traitement n'est pas équitable : Lukacs, qui n'en est plus à une veste retournée, a toujours la ressource de la trop célèbre « dialectique », tandis qu'Isaiah Berlin est un sociologue qui consent à s'en tenir à la simple logique. Nous voudrions en conclure que le « relativisme absolutiste » est le péché tantôt mignon, tantôt monstrueux (eu égard aux conséquences de fait), à la fois des tenants du positivisme logique occidental, qui l'exercent dans le domaine de la simple théorie, et des « marxistes-léninistes », lesquels en tirent des applications pratiques bien connues. D'infinies variations peuvent être effectuées sur ce thème. Le banquet philosophique occidental a réuni une douzaine de participants subtils Biblioteca Gino Bianco 367 et prompts à l'autocritique dont on entend toujours avec plaisir les discours parfaitement informés. Il y a sûrement un domaine légitime pour la culture du « relatif», de ce qui varie avec le temps et le lieu : les choses de ce bas monde, principalement les choses humaines, de caractère moral et politique - morale et politique étant d'ailleurs difficiles à dissocier, révérence gardée à Machiavel. Tous les champs d'investigation ont été sondés : théologie, éthique, politique, économie politique, ethnographie, linguistique. « Tout ce qui est historique, tout ce qui est géographique est nôtre», peuvent dire les relativistes des sciences humaines. Toutefois, ils ne doivent pas se laisser aller à d'aberrantes analogies avec les sciences physiques : le relativisme anthropologique n'a guère en commun avec l'autre que le nom car l'Espace-Temps d'Einstein, où règnent les majestueux « invariants», n'a plus rien d'humain. Raison de plus pour assigner au relativisme philosophique, au relativisme en général, le devoir de se contenir dans certaines liµtltes, sous peine d'absurdité. En d'autres dimensions que physiques, on peut entrevoir ces limites, notamment quand interviennent des « valeurs » telles que la liberté· la plus humble, que nous chérissons· comme condition de tout le reste. Et nous dirons limites, non frontières, selo~ l'excellente formule d'un des auteurs, qui _se·trouve être un linguiste. P. 252, R. M. Weaver conclut : « S'il y a de l'absolu, nous ne pouvons le connaître que d'une manière relative. » · . · Ce docte examen de conscience était particulièrement' utile. A. P. Le mythe des classes JEAN LHOMME: La Grande Bourgeoisie au pouvoir ( 1830-1880). Essai sur l'histoire sociale de la France. Paris 1960, P.U.F. (Bibliothèque de la science économique), 378 pp. LORSQU'UNQEUESTIOeNst très complexe, qu'elle comprend un nombre très considérable d' éléments, on peut, pour y voir clair, choisir entre deux chemins. Le premier est d'examiner tous ces éléments, de s'orienter peu à peu dans cette forêt afin de pouvoir la décrire. Pour suivre l'autre, il faut déjà avoir une connaissance grossière des éléments du problème. A partir de là on se forge un plan directeur, puis l'on se penche sur le problème pour y découvrir les éléments qui vérifieront ce plan. Le premier chemin est long et difficile.Le second, aisé et rapide, présente d'incomparables avantages. Si à la vérité on n'a pratiquement aucune chance de rendre fidèlement compte de la matière dont on traite, on est en revanche assuré de présenter un développement bien architecturé et qui offre une sorte de logique interne, on est assuré aussi de parvenir à des conclusions intéressantes, qui sont précisément
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