366 réserve la statue tandis qu'on hésite à admettre le sculpteur en bonne compagnie, parce que son corps est déformé par ses travaux - son corps, et sans doute aussi son esprit. A l'inverse, ne dirait-on pas que la caractéristique de l'âge moderne est la réhabilitation, d'abord timide puis sans cesse grandissante, non seulement de la fabrication, mais encore du fabricant? N'est-ce pas lui que la récente philosophie a dignifié au point de l'identifier à l'homme par excellence, celui qui se distingue des animaux, l'homo /aber? Spiritualisme bergsonien et matérialisme marxiste ne sont-ils pas d'accord pour lui assurer cette promotion? Sommes-nous bien .certains que ce soit là notre « ouvrier », si par ce terme nous entendons aussi l'homme de peine et de labeur? Les Grecs appelaient ponos la peine que les hommes se donnent pour gagner leur vie et qui leur est commune avec les animaux, ceux-ci ayant aussi beaucoup de· mal à sauvegarder leur existence et celle de leur progéniture. Il est admis que le sage antique, voué ·à la theôria, et l'homme d'action, tout à la praxis politique, doivent être délivrés du ponos pour être pleinement humains. De là vient que, d'une manière ou d'une autre, des esclaves soient nécessaires, esclaves que le militaire-citoyen .ira capturer à la guerre, témoignant par son courage qu'il est digne· d'être servi, tandis que les captifs, ayant préféré la vie à la liberté, auront prouvé qu'ils méritaient'· la servitude. Les références de H.·Arendt montrent queJa première partie de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave reproduit fidèlement la conception courante de l'Antiquité sur l'origine et la justification de l'esclavage. Elles indiquent du même coup la solidarité de la vie politique antique et de la guerre, sur quoi l'auteur n'a peut-être pas assez insisté. Mais on confondrait à·., -tort l'esclave antique avec le producteur artisanal : de l'esclave, Aristote préçise dans la Rolitique qu'il est un serviteur privé, non le producteur de quelque chose. Il s~ensuit·qu'on peut se demander si Marx et Engels n'ont pas interprété à contresens la plaisante prophétie du Stagirite sur le soulagement qu'apporteraient. des outils automatiques. Le producteur peine,: certes-, mais ce n'est pas là son principal office:,tandis qu'il appartient à l'esclave de déliv:rer .l~s· horrurtes libres des servitudes biologiques, .afin de :·leur permettre de se livrer à des occttp~tions ·plus relevées. Cependant il n'apparaît ,pas '-que~ le philosophe grec ait songé à un outillage domestiqüè comme celui par lequel on remplace aujoutd'~üi, tant bien que mal, les anciens s~rvit~~rs.1/ouvti~~ moderne de la grande industrie est-il encore humême un producteur au sens antique? Nullement~ puisque 1~ conception et l'exé~ution ayant _été séparées, 11n'est plus que. t~ava1lleur·parcella1~e. A ce propos, H. Arendt fait Justement remarquer l'ambiguïté du terme « division du travail», sous lequel nous faisons entrer des choses aussi ·différentes, voire opposées, que la spécialisation des métiers et · la décomposition· industrielle des ' Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL opérations. Il faudrait ajouter que le projet marxien de triompher de la divis!o~ ~u .travail dans la cité future concerne la spec1alisattondes métiers, non la décomposition des opérations. Elaborant son utopie de l' « homme total » ( ce pourrait n'être qu'un omnivalent presse-bouton), Marx aurait ainsi retenu l'antique préjugé con~e l'homme de métier. Est-ce vraiment ce dermer qui demande à être libéré? Selon H. Arendt, la contradiction qui traverse d'un « trait rouge » l'œuvre de Marx tout entièr~ tient à ce que, après avoir posé que le travail est la source de tout développement, l'auteur du Capital voit dans l'urgence de s'en délivrer. la condition d'accès à ce qui est proprement humain: le véritable règne de la liberté ne commence qu'une fois terminée la journée de travail. Dans les textes, la contradiction apparaît peut-être moins accusée: elle n'en existe pas moins. Une ~ , manière de la résoudre est évidemment de faire du travail lui-même la liberté ; si c'est là une des ressources de l'humour noir stakhanoviste, on peut douter que telle ait été la pensé~ ~e Mar~. Il est clair que dans les passages examines, cel~1ci considère le travail en tant que labeur ou peine plutôt qu'en tant qu'œuvre, ce qui continue à justifier la distinction d'H. Arendt entre ponos et poiêsis - entre homo /aber et animal laborans, si l'on préfère parler latin. Au point de départ ~e sa réflexion, il nous semble que Marx entendait le travail au sens de l'œuvre. A-t-ilattribué au travail distinct de l'œuvre une fécondité quasi biologique, donnant toujours un incrément pour aller plus loin, comme le suppose H. Arendt? Nous n'en sommes pas sûr. Quoi qu'il en soit de ce point d'exégèse, l'utilité de la distinction entre l' œuvre et le simple travail demeure. Il semble que l'auteur, voyant dans l'avènement de l'animal laborans le trait distinctif du monde contemporain, nourrisse des vues pessimistes sur l'avenir de l'espèce. Qu'il n'y ait plus ni contemplation, ni action, ni production, plus que des alternances de peine et de soulagement, une distribution mécanique des jouissances aussi fastidieuse que celle des besognes, et ce ~erait en effet l'acheminement vers la fourjllÎlière. Pour de multiples raisons, nous ne sommes ·pas entièrement disposé à suivre l'auteur qui se _défend, d'autre part, de prophétiser. De la luÎ:nièreque répandent ses belles analyses, élaborées _i.fe_ la façon la plus originale à partir de l'antique pour.. éêlâi_rer le moderne, on doit néanmoms lüL$-av~ir'le plus grand gré. AIMÉ PATRI. , . ... ' ; Absolution du relatif .,,. Relativism and the Study of Man. Edited by Helmut Schoeck and James W. Wiggins. Papers by L. Carmichael, S. V. Langmead Casserley, B. Leoni, J. C. Malin, L. von Mises, M. A. Pei, ,H.· -Schoeck, L. Strauss, J. W. Tietz, B. Vivas,
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