Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

présence muette de Vorochilov et de Boulganine. Ainsi les déchus d'aujourd'hui, honnis ou bannis, ont-ils eux-mêmes procédé naguère contre un prétendu trotskisme non moins absent et fantomatique. Les pétitions « spontanées » d'étudiants de Moscou et d'habitants ·de Stalingrad mus par un déclic, les unes ·pour ·escamoter la momie indésirable, les autres pour changer le nom de la ville, attestent le fonctionnement stalinien parfait de «l'appareil». De même, les approbations « enthousiastes » du peuple soviétique avant d'avoir pu lire une page du nouveau programme ni les discours et les résolutions du Congrès, inintelligibles aux profanes. LES VÉRITÉS partielles dispensées aux figurants congressistes et répandues par la Pravda sont de nature à troubler bien des consciences et à stimuler le cc révisionnisme» au meilleur sens du terme, mais sous un régime oppressif qui ne laisse rien espérer à brève échéance. Et s'il a fallu huit ans et deux congrès pour dire si peu de vérités sur Staline, combien d'années faudra-t-il, et combien de congrès encore, pour dire l'essentiel, sinon la vérité tout entière, sinon « la vérité qui vous rendra libres»? Car Khrouchtchev et, après lui, deux douzaines d'orateurs bien _stylés ont eu soin de taire l'essentiel, la vérité libératrice. Ils se sont tus sur le mensonge initial qui, ayant identifié le Parti au prolétariat, le Comité central et son Politburo au Parti, le Secrétariat au Comité central, a couvert le massacre systématique des élites intellectuelles du pays, des diverses écoles du socialisme, des vétérans respectables de la révolution et jusqu'aux cadres traditionnels du parti de Lénine. Ils n'ont rien .dit des tueries et des déportations en masse qui, ayant décimé les populations paysannes pour les soumettre de vive force à la collectivisation, ont ensuite causé une famine meurtrière et une sous- .alimentation générale sans précédent. Ils ne révèlent pas grand-chose s~r l'assassinat de Kirov et les horreurs perpétrées par Staline sous ce prétexte, ils se taisent obstinément sur les procès en sorcellerie machinés pour avilir et supprimer des gêneurs qui ne gênaient plus, et à peine font-ils allusion à quelques chefs militaires arbitrairement fusillés en évitant de parler des milliers d'officiers exterminés, de tant d'atrocités commises pour terroriser tout un peuple afin de conclure avec Hitler le pacte qui devait déchaîner la guerre. Silence de mort enfin sur ce crime des crimes, la connivence avec l'AIJemag~e nazie pour le partage de la Pologne, l'agression contre la Finlande, la mainmise sur les Etats baltes, la pénétration dans les Balkans, pour toutes les conséquences prévues et imprévisibles qui ont coûté à l'humanité des millions de -morts et d'indicibles souffrances. iblioteca Gino Bianco . , LE CONTRAT SOCIAL La continuité du stalinisme s'affirme encore . dans ce que Lénine dénonçait déjà comme «commensonge » et « corn-vantardise » (contraction de mensonge communiste et vantardise communiste), mais qui ont pris sous Staline des proportions monstrueuses au point d'englober la totalité de la vie soviétique, la doctrine officielle, la presse et la radio quotidiennes, les plans économiques, les thèses et les discours de congrès, le nouveau programme du Parti et tout le reste. Le nationalisme panrusse et le chauvinisme pansoviétique aussi, qui répugnaient tant à Lénine (il s'est exprimé à ce sujet sans ambages), mais que Staline a suscités, cultivés, attisés au maximum, participent également du stalinisme. Il s'y ajoute le « culte de la personnalité », non moins condamné explicitement par Lénine, actuellement répudié en tant que culte de Staline, mais pour faire place au culte de Khrouchtchev: tous les " orateurs du XXIIe Congrès ont eu soin de réciter leurs litanies stéréotypées à l'éloge du sage et tout-puissant « Nikita Serguéiévitch », dont la feinte modestie a dû prendre ombrage et s'exprimer, à la fin, pour réfréner le zèle excessif des adulateurs (Staline aussi, en son temps, avait eu recours à une telle clause de style). Le stalinisme perdure enfin dans l'espèce de .religiosité inoculée à des primaires qui se réclament du matérialisme historique, du « marxisme-léninisme », et n'ont rompu avec l'orthodoxie ou l'islam que pour leur substituer un ersatz parodique contrastant de la manière la plus choquante avec le marxisme et le léninisme. A cet égard, l'intervention d'une obscure militante à la tribune du Congrès (séance du 30 octobre) mérite de retenir l'attention. Cette croyante nommée D. A. Lazourkina, emprisonnée sans motif en 1937 comme tant d'autres, survit à dix-sept années de déportation au cours desquelles sa ferveur dans le culte de Staline ne s'est jamais démentie. Libérée en 1956, elle a cc appris la vérité» et maintenant, dit-elle au Congrès... cc ••• Je porte toujours dans mon cœur Ilitch, toujours, camarades; dans les moments les plus difficiles je n'ai pu continuer à vivre que parce que j'avais Ilitch dans mon cœur et je lui ai demandé conseil : que faire? (Applaudissements.) Hier j'ai pris conseil d'Ilitch, il était comme vivant devant moi et il m'a dit: cc Il m'est désagréable _d'être à. côté de Staline, qui a fait tant de mal au Parti. » (Vifs applaudissements prolongés.) Après cela le Congrès ne pouvait que déférer au vœu de Lénine transmis par l'humble dévote .qui, aux heures de perplexité, consulte Ilitch et enteQd sa voix. Ce qui fut réalisé d'ailleurs en un tournemain, la nuit suivante, et d'autant ·plus aisément que par un miracle supplémentaire ·la tombe et la dalle avec le nom de Staline taillé dans la pierre se trouvaient prêtes à recevoir les restes de l'idole tombée en disgrâce. Un .tel épisode se passe de commentaire et donne une . idée de la tâche en perspective si le lavage des . cerveaux encrassés de cc marxisme-léninisme»,

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