Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

362 tées par leurs détenteurs ~t à emba1;1c~erde la main-d'œuvre pour les cultiver. Tel eta1t le programme de ce. q~'on appellera la droite. B~n1kh~~ rine, son principal porte-parole, alla Jusqu a exhorter les paysans à «s'enrichir», expression dont on devait l'accabler plus tard. Léon Chanine et Grégoire Sokolnikovfournirent à la position de Boukharine un appui théorique remarquablement subtil. Selon eux, l'expansion du capital fixe était limitée par l'existence de réserves de biens produits pendant la période précédente ou importés sur la base de prêts étrangers. Ils estimaient qu'en raison de la pénurie de biens qui sévissait en U.R.S.S. en 1925-26, l'économie soviétique ne pouvait se permettre d'enlever à long terme des ressources à la production de biens de consommation, ce qui serait nécessaire si. la priorité allait à la construction d'industries des biens de production. Le tenter, ce serait accentuer la pénurie. Ce qu'il fallait, au contraire, c'était investir dans l'agriculture et l'industrie légère, où les besoins en capitaux étaient bien plus faibles, par· rapport à la produc- . tion, que dans l'industrie lourde. La production en roubles étant plus élevée dans l'agriculture et l'industrie légère, on pourrait économiser davantage, des fonds plus importants seraient disponibles pour la formation du capital, et à la longue un taux d'investissement plus élevé deviendrait possible dans l'industrie lourde elle-même. Le fait que de tels arguments fondés sur les rapports capital-production aient été avancés dans les années 20 vient étayer d'une façon frappante la thèse d'Ehrlich: la doctrine marxiste ne compromettait pas irrémédiablement l'analyse ~~onomique en U.R.S.S., et la controverse sur 1 mdustrialisation soviétique de cette période éclaire aujourd'hui les problèmes propres aux pays sousdéveloppés. Ch~e et Sokolnikov étayaient en outre leur argumentation en faveur des investissements prioritaires dans l'agriculture en affirmant que !'U.R.S.S., en produisant du grain pour l'exportation, pourrait récolter les avantage~de la spé~ia.. lisation internationale. Autrement dit, elle obtiendrait plus de machines lourdes, en ter~es. ·de valeur, en les achetant aux pays capit3:listes -évolués en échange de ses céréales que si elle mettait sur pied ses propres industries méca.. niques. Ils concédaient que les marchés étrangers ne seraient peut-être pas en mesure d'absorber les quantités requises de gr~in, ~ais I,e c~s échéant ces marchés pourraient etre elargis par la transformation industrielle des matières premières agricol~s desti?ées à l' e;portat!on. Ce faisant, ils pouvaient pretendre à Juste titre que tel avait été en fait_!~processus du développement économique dans les pays déjà industrialisés. A l'encontre de cette thèse sur la priorité à "donner à l'agriculture et à l'industrie légère, Biblioteca Gino Bianco , LE CONTRAT SOCIAL Eugène Préobrajenski défendait la J.?-écess~dté'augmenter radicalement le volume des investissements dans l'industrie lourde. Il soutenait que la « sousproduction systématique» avait pour cause !a redistribution égalitaire du revenu et la pénurie de capital accumulé rendue aiguë par des années de renouvellement insuffisant. En augmentant les investissements dans l'industrie lourde, on obtiendrait un produit plus él~vé par ~té de capital, puisque les nouvelles usin~s pourra!ent apphq~er les innovations technologiques mises au point dans l'Occident industrialisé pendant que l'équipement de l'industrie russe s'usait et ~even~it suranné. D'autre part, de nouveaux investissements massifs dans l'industrie étaient nécessaires pour satisfaire la de~ande de consommation accrue du paysannat qw, par contraste avec l'époque d'avant la révolu~i~n? n'av~it ,î'lus,. à payer de loyer aux proprietaires_, n1 d_impot~ élevés au gouvernement. A son avis, la d1fficulte était que la demande paysanne était trop éle_vée et non trop faible, comme l'affirmait Boukharine. * ")f,. ")f,. L'argumentation de Préobrajenski demeure d'une pertinence frappante quant aux problèmes de la formation du capital dans les pays sous-développés. L'Inde en est un exemple : les propriétaires terriens zamindari se sont plaints amèrement de la politique gouvernement!lle d'expropriation des terres au profit des paysans. Ils maintiennent qu'historiquement ils ont toujours fait fonction de collecteurs d'impôts - même après avoir été formellement dépouillés de cette prérogative - car même s'il~ con~o~aient lll1:e partie de leurs revenus foncrers, 1 excedent allait aux impôts et aux investissements. A présent, les zamindari ayant été éliminés en tant que. cla~se de propriétaires terriens, le gouvernement indien doit essayer de tirer des paysans assez d'argent pour couvrir ses dépenses ainsi que les investissements nécessaires. Or les gouvernements démocratiques modernes ont notoirement plus de difficulté que les propriétaires à collecter l'argent des paysans, et la proportion des rentrées fiscales provenant du revenu agricole décline donc constamment en Inde depuis l'indépendance, de même qu'elle déclinait déjà depuis longtemps sous la domination britannique. Préobrajenski voyait très clairement la nécessité de se tourner vers les paysans pour obtenir les fonds d'investissement. Sa méthode souffrait cependant d'un sérieux inconvénient : il comptait presque exclusivement sur le système des prix pour atteindre son but. Mais la compression des prix - réalisée en maintenant élevés les prix des produits industriels de consommation e! bas l~s prix payés aux paysans pour la production agricole .- ne pouvait pas éponger les excédents paysans dépassant la s~mple,subsis~ance, co~e avait pu le faire le systeme economtque et administratif russe d'avant la révolution. Seule la collectivisation forcée de l'agriculture commencée ,,.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==