QUELQUES LIVRES travaux d'irrigation et de protection contre les inondations, pour les communications et la défense ; enfin, monopole d'Etat sur le culte confucéen. Ce n'était pas une société pluraliste ou multicentrique. Lorsque . le pouvoir policier de l'Etat cessa d'être efficace, il y eut possibilité de révolte couronnée de succès, mais non de révolution, car aucune autre forme de gouvernement, aucune conception différente des relations sociales ne pouvaient se développer dans ces conditions. Pendant des siècles, l'histoire de la Chine fut marquée par une grande stabilité institutionnelle. Lorsque l'empereur mandchou accepta les conditions imposées par les Britanniques en 1842 et que les doctrines chrétiennes pénétrèrent dans le mouvement des Taïpings, la bureaucratie et la petite noblesse dirigeantes se serrèrent autour du trône, non pour défendre la maison impériale, mais pour préserver la société chinoise. L'idéologie d'Etat était si forte et la structure politique si puissante que c'est seulement lorsque l'intervention étrangère mit fin au système d'examens et révéla la faiblesse militaire de la dynastie que surgirent d'autres solutions politiques et que de nouveaux courants intellectuels firent leur chemin. On a peine à croire qu'il y a quarante ans seulement, une révolution intellectuelle se produisit qui fraya la voie à la fois aux mouvements nationaliste et communiste, et que les hommes qui y prirent part sont encore partagés aujourd'hui sur l'avenir de la Chine. Les événements du 4 mai 1919 - plusieurs milliers d'étudiants de la plupart des établissements d'enseignement supérieur de Pékin manifestèrent contre le traitement infligé à la Chine à Versailles et envahirent la maison d'un fonctionnaire réputé projaponais - furent l'expression politique d'un mouvement depuis longtemps en gestation. Le livre du Dr Chou Tsé-toung 1 offre une étude analytique fouillée de ce mouvement, interprété à juste titre, au sens large, comme un mouvement intellectuel et socio-politique tendant à « obtenir l'indépendance nationale, l'émancipation de l'individu et une société juste grâce à la modernisation de la Chine » (pp. 358-59). Les événements mêmes du 4 mai sont moins importants que leur contexte : une révolution intellectuelle, conduite par les intellectuels, précipita un réveil intellectuel et tenait pour acquis que la modernisation ne pouvait que procéder de changements intellectuels. « L'objectif le plus important du mouvement, écrit le Dr Chou, était de maintenir l'existence et l'indépendance de la nation, but qui avait déjà engendré toutes les grandes réformes et révolutions en Chine depuis la deuxième moitié du x1x0 siècle »(p. 359). L'un des aspects importants du mouvement du Quatre-Mat - en employant le terme au 1. Chow Tse-tung : The May Fourth Movemcnt. Cambridge (Mass.) 1960, Harvard University Press. Biblioteca Gino Bianco 359 sens large pour couvrir les courants intellectuels des années 1917-23 - fut d'étendre l'usage de l'idiome national à la littérature, ce qui permit à beaucoup de gens d'apprendre à lire et à écrire, auparavant monopole de la classe instruite. Réforme capitale qui favorisa l'apparition de nouveaux écrivains et accrut l'édition des livres et la diffusion de la presse. Le nom du Dr Hu Shih est intimement lié à ce mouvement, à l'offensive contre les traditions et valeurs confucéennes et à la vulgarisation de la science occidentale et du matérialisme philosophique. * }f }f Pendant ces années, Bertrand Russell, John Dewey et l'agent soviétique Voïtinski firent différents séjours en Chine. Voïtinski eut sa part dans la conversion de Ch'en Tu-hsiu au matérialisme dialectique et le début du mouvement communiste chinois. L'influence de Russell et de Dewey est plus difficile à suivre, bien que le Dr Chou accorde beaucoup d'attention à ce problème. Son chapitre sur la scission idéologique et politique est en effet d'un très grand intérêt, étant fondé sur une riche documention présentée avec le sens analytique des matériaux et de l'époque. A ceux qui doutent encore de l'importance des idées dans la genèse du fait historique, la lecture de ce chapitre, avec sa minutieuse analyse de la scission fatidique du mouvement du Quatre-Mai, devrait ouvrir les yeux. Cette scission a parfois été présentée comme une question de personnes, comme une rupture entre Hu Shih, le penseur indépendant, et Ch'en Tu-hsiu, le communiste ; et le fait que les communistes soient aujourd'hui au pouvoir a fait croire à certains que Russell, Dewey et leurs amis chinois n'avaient pas grand-chose à offrir à l'encontre de Voïtinski et des communistes chinois. Les faits ne le confirment guère. Il n'est pas facile pour une société du type que nous venons de décrire de se transformer en une démocratie libérale, mais jusqu'en 1937 la Chine avait encore le choix. Sans la guerre sino-japonaise, on voit mal comment les communistes auraient pu accéder au pouvoir. Aujourd'hui, comme on pouvait s'y attendre, Mao revendique le mouvement du Quatre-Mai comme le sien, comme partie de la révolution mondiale de la classe prolétarienne ; Hu Shih est un « traître ». Ch'en est éliminé en raison de son « trotskisme », et Russell est un « espion impérialiste». Les libéraux, c'est évident, étaient plus que tous dans une situation délicate. Tout en rejetant les communistes, il leur était difficile de s'allier avec les nationalistes et les traditionalistes puisqu'ils étaient voués à répudier presque totalement l'ancien système de valeurs. Contraints de choisir, ils durent O{)terpour les nationalistes, mais ils doivent se sentir, au plein sens du terme, doublement trahis.
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