QUELQUES LIVRES Les intellectuels chinois DANS la première . moitié du XIXe siècle, la Chine avait le choix : adopter les formes d'organisation occidentales ou accepter les formes de domination occidentales. Depuis des siècles, les Philippines et l'Indonésie étaient tombées sous la coupe de l'Occident ; plus tard, les Etats voisins de Birmanie, de Malaisie et d'Indochine connurent le même sort. Mais le vieux noyau de la civilisation d'Extrême-Orient, l'Empire du Milieu, refusa jusqu'au bout d'admettre l'alternative. Le Japon adopta les formes d'organisation occidentales et bientôt secoua les traités inégaux à lui imposés. Pour la Chine, la transition au monde moderne était un problème beaucoup plus difficile. Elle était assez forte pour éviter de devenir la colonie d'aucune puissance (les Britanniques caressèrent un moment l'idée de la conquête et finalement l'abandonnèrent), mais pas suffisamment pour maintenir intacte sa souveraineté. Ces _empiétementsn'étaient pourtant pas de nature à briser la société traditionnelle de la Chine; en fait, les puissances étrangères s'en servaient souvent comme d'instruments pour soutenir celle-ci. En Inde, bien que la domination britannique n'eût pas apporté, comme le prédisait Marx, la cc seule révolution sociale qu'on ait jamais connue en Asie» par l'établissement d'une société fondée sur la propriété, elle transforma certainement beaucoup la société indigène et imposa quelques-unes des institutions d'un Etat moderne. En Chine, au contraire, les empiétements des puissances firent probablement beaucoup plus pour saper le système des valeurs et institutions traditionnelles que ne le fit la domination anglaise en Inde, sans qu'il y eût compensation par la mise en place d'institutions modernes. Les raisons pour lesquelles la Chine fut incapable de s'adapter avec autant de rapidité et de succès que le Japon sont complexes ; mais, au risque de simplifier à l'excès, on peut dire qu'elles iblioteca Gino Bianco , tenaient surtout ·dans le contraste entre les deux .. sociétés. Les deux pays traversaient, au milieu du XIXe siècle, une crise interne, mais ces crises étaient différentes de nature. A la suite d'un déplacement massif dans la structure de classes et l'économie du Japon sous la dynastie des Tokugawa, de nouvelles forces sociales et· politiques étaient entrées en action. 11ne s'agissait pas d'une répétition de la lutte pour le pouvoir que les Tokugawa avait menée à bien au xvue siècle; il s'agissait d'hommes nouveaux aux idées nouvelles, souvent nées du contact avec l'Occident, ,. qui étaient en mesure de conquérir le pouvoir. Ils constituaient une espèce de nouvelle classe. Leur montée était due à divers facteurs intérieurs et internationaux, mais l'essentiel est qu'ils étaient à pied d'œuvre et pouvaient tirer parti de la situation. En Chine, au contraire, la crise prit la forme de la rébellion des Taïpings (18501864), guerre civile dévastatrice à l'issue de laquelle la dynastie mandchoue conserva le trône ; en dépit d'un vernis de christianisme, elle n'avait rien à offrir en fait de changements institutionnels ou de valeurs sociales qui pût séduire les classes dominantes. La crise avait les caractères les plus importants des précédentes crises dynastiques, qui s'étaient traduites par un changement de la maison régnante et non par un renouvellement des institutions. Grâce, en grande partie, aux travaux du Dr Karl A. Wittfogel, on sait désormais que la Chine traditionnelle avait peu de chose en commun avec les sociétés européennes. Ses traits distinctifs étaient : immense puissance de l'Etat et faiblesse correspondante de l'individu ; absence de pouvoirs concurrents ; règne d'une bureaucratie et d'une petite noblesse non héréditaires, sélectionnées par un système d'examens ; système national de taxation et armée de masse ; système à deux classes présentant certaine mobilité sociale ; agriculture intensive ; responsabilité de l'Etat pour la construction et l'entretien des r
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==