Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

qu' « ils » ont raison. « J'ai fait cela, je suis un criminel. » Il lui arrive encore de douter de sa culpabilité, mais il garde ses doutes pour lui. Il perd de plus en plus ses anciens points de repère, ses anciennes convictions, pour adopter progressivement le « point de vue du peuple ». Maintenant, enfin, une amélioration miraculeuse se produit dans sa situation : on lui ôte ses entraves ; il est confortablement assis quand il parle au juge ; on lui accorde le luxe de huit heures de sommeil. Le prisonnier a maintenant atteint un stade où il perçoit plus clairement son ancienne « inconduite » et commence à travailler ferme à sa confession. Peu après, il est admis au hsueh hsi - groupe d'étude formé par les compagnons de cellule - dont les réunions prennent la plus grande partie de la journée. En temps voulu, il se joint aux autres pour mener la « lutte » contre une nouvelle victime introduite dans la cellule. Sa réforme progresse rapidement ; il est en voie de devenir le nouvel homme qu'on voulait faire de lui. Une partie de la longue réunion d'étude est consacrée chaque jour aux « critiques de la vie quotidienne» : discussion en groupe de la conduite générale, de l'attitude envers les autres, de la bonne volonté à faire sa part de travail dans la cellule, de la façon de manger et de dormir. Chaque fois qu'on constate qu'un prisonnier étranger pèche sur un de ces points, la faute en est attribuée au fait qu'il conserve des attitudes inspirées par l'avidité et l'exploitation « impérialistes » ou bourgeoises, au lieu d'adopter l' « attitude. du peuple» correcte: partager et coopérer. Le prisonnier commence à sentir qu'il vit une expérience profondément émouvante, quasi religieuse. De plus en plus, il a conscience de vivre « en harmonie » avec ses camarades de cellule. Les effets sont si durables que dans certains cas, des années plus tard, revenu dans la société libre, cette harmonie lui manque et il a la nostalgie de son temps de prison, période relativement simple, « chargée de signification »,sublimé par le souvenir. Car de retour dans le monde occidental, il est encore troublé par le noyau de vérité mauvaise autour duquel sa nouvelle identité de prisonnier s'était formée, il lui arrive de se voir de nouveau du « point de vue du peuple» ou de souffrir de confusion lorsque son identité occidentale menace de céder devant son moi de . . pr1sonn1er. LES VICTIMESchinoises du «lavage des cerveaux » passent à peu près par les mêmes épreuves dans un « collège révolutionnaire» ou une université. Au début, on laisse les « étudiants » à peu près tranquilles. Ils mangent, dorment, causent dans une atmosphère austère mais amicale. La réserve première disparaît bientôt et ils commencent à se confier des détails de leur vie passée, leurs frustrations, leurs croyances et aspirations. Biblioteca Gino Bianco L~EXPÉRIENCÈ COMMUNISTE Soudain le ton change. Un haut fonctionnaire du Parti fait une conférence sur le mode exalté, suivie d'une série de réunions du hsueh hsi dont l'intensité va croissant. Un des étudiants, jusqu'alors paisible et effacé, jette brusquement le masque et se révèle être un «activiste» entraîné du Parti ou des jeunesses communistes. Les autres s'aperçoivent qu'il les avait écoutés parler sans méfiance et avait pris note de leurs points vulnérables. A partir de ce moment, les pressions de groupe montent constamment et l'étudiant individuel se trouve soumis à un long processus de critique, d'autocritique et de confe~sion, assez semblable à celui des prisonniers étrangers. Les propos sur leurs attitudes présentes et passées que les étudiants échangeaient si librement entre eux les premiers jours reviennent maintenant pour les ,, hanter. Il existe certes des différences de traitement. Si la victime occidentale de la réforme est surtout attaquée pour ses liens avec « l'impérialisme », ce qu'on reproche à l'étudiant d'une université révolutionnaire est son « individualisme », sa tendance «hautement immorale » à suivre ses inclinations personnelles plutôt que le chemin tracé par le Parti. Sous la pression de groupe qui monte, l'étudiant « individualiste » se sent de plus en plus isolé et désaccordé. Les sentiments de culpabilité les plus profondément enfouis sont habilement percés à jour. L'étudiant est accablé de remords et d'un sentiment d'isolement. « J'étais très désemparé (...) je me sentais seul (...) il il était dur d'être seul avec le monde entier de l'autre côté... On se sent un étranger dans ce milieu si on ne se rallie pas. » 11 en vient à douter de lui-même et de tout ce en quoi il croyait jusqu'alors. Après des semaines de « lutte », la tension devient presque insupportable et les étudiants reçoivent l'ordre de commencer à rédiger leur examen de conscience ou confession finale. A une réunion de masse, les professeurs soulignent l'importance de cette entreprise, cristallisation de toute l'expérience de réforme, ultime occasion offerte de résoudre ses problèmes de pensée. La confession de chaque étudiant doit être l'histoire de sa vie remontant à deux générations, y compris son expérience de réforme. Elle doit décrire franche111entet à fond comment ses pensées se sont développées et ont influencé ses actes ; elle doit analyser aussi les effets de la thérapeutique sur son caractère et sa vision du monde. Après une période de dix jours de rédaction, l'étudiant lit l'histoire de sa vie au hsueh hsi dont les membres la mettent en pièces. Chaque membre du groupe doit signer le document, pour marquer son approbation et sa responsabilité, avant que le groupe comme tel puisse le laisser passer. L'histoire est examinée bien entendu aux échelons supérieurs et approuvée ou retournée. Définitivement agréé, le document entre au dossier

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