R. C.NORTH il était évident que « sa structure théologique avait aussi été pénétrée de profondes influences dues à la réforme». En prison, le professeur Castorp, le « savant docile », avait dit aux réformateurs communistes ce qu'ils voulaient entendre, mais après sa libération il se rétablit et cc reprit rapidement et de manière active son identité d'avant la réforme », ses valeurs fondamentales étant demeurées remarquablement intactes. LES PROCÉDÉS infligés aux sujets occidentaux variaient peu. Après quelques préliminaires, la victime se retrouve d'habitude dans une petite cellule nue (2,50 m X 3,70 m) où sont déjà entassés six ou huit autres prisonniers, généralement des Chinois. Ceux-ci constituent un groupe d'élite dont chaque membre est «avancé» dans sa «réforme» personnelle et impatient de contribuer à celle des autres pour gagner des « points » pour .sa libération. Ces prisonniers se relaient pour lancer des invectives au nouveau, le traitent d' «impérialiste » et d' « espion », et exigent qu'il « reconnaisse » ses cc crimes » et « confesse tout ». Protester de son innocence ne _lui sert à rien; les accusations n'en deviennent que plus véhémentes. Après plusieurs heures de ce traitement, on mène - la victime à son premier interrogatoire. Elle se retrouve dans une petite pièce, face à un «juge» flanqué d'un secrétaire et d'un interprète. Le juge ouvre la séance en lui disant carrément : «Vous avez commis des crimes contre le peuple et vous devez tout avouer. » A ses protestations d'innocence, on rétorque de manière courroucée que « le gouvernement n'arrête jamais un innocent». Beaucoup de ce que le prisonnier considérait jusque-là comme un bien lui est maintenant présenté comme un mal. A mesure que l'interrogatoire avance, les questions du juge se concentrent de plus en plus sur les prétendus liens du prisonnier avec différents groupes, par exemple sa propre ambassade, des militaires et fonctionnaires étrangers, des services nationalistes chinois, des organisations religieuses, catholiques ou autres. Au bout de dix ou douze heures d'interrogatoire ininterrompu, tout en continuant à protester de son innocence, on fournit normalement un certain nombre de renseignements exploitables. Lorsque le juge trouve que l'interrogatoire a été poussé assez loin, il donne l'ordre de remettre les menottes au prisonnier et de le ramener dans sa cellule pour qu'il « réfléchisse » à ses « crimes ». Après deux ou trois autres jours d'emprisonnement pendant lesquels il est harcelé sans répit par ses compagnons de cellule, le prisonnier n'a plus, dans la plupart des cas, qu'un seul souci, trouver un soulagement à sa détresse. «On commence à penser au moyen de se débarrasser de ces chaînes. Il faut se débarrasser des chaînes. » Si bien qu'à 1interrogatoire suivant, il essaie d'y Biblioteca Gino Bianco 355 parvenir en faisant une « confession au petit bonheur » : aveu d'espionnage qu'il sait fictif. «Si je montre que je suis un grand criminel, je serai mieux traité ... » Mais le juge n'est pas satisfait; au contraire, il démontre, preuves à l'appui, que les aveux sont faux. Le gouvernement ne veut pas de « confessions au petit bonheur », mais la « vérité ». ·Le prisonnier s'en retourne donc avec ses chaînes, ses compagnons de cellule continuent à le traiter en ennemi, et la « lutte » se poursuit. « Ils ne vous aident pas parce que vous êtes trop réactionnaire ... On mange comme un chien, avec sa bouche et ses dents ... Si on a besoin d'uriner, on vous déboutonne le pantalon et vous urinez dans un coin... Aux cabinets, quelqu'un vous déculotte et quand vous avez fini, on vous torche. On n'est jamais sans chaînes. » Le programme qui fait alterner la lutte et les interrogatoires se poursuit pendant une semaine ou davantage, souvent sans qu'on puisse dormir. Les compagnons de cellule répètent au prisonnier qu'il est seul responsable de ses malheurs. « Tu veux tes chaînes... Autrement tu serais plus " sincère " ... » Il est pris dans un dédale d' accusations vagues mais accablantes à la Kafka ·; incapable de comprendre de quoi exactement on le veut coupable, il ne voit pas de moyen d'établir son innocence. Pendant ce temps, ses accusateurs commencent à localiser les points névralgiques de culpabilité sur lesquels ils vont agir afin de détruire sa personnalité de l'intérieur. De cette manière, le prisonnier est rapidement « réduit à quelque chose qui n'est entièrement ni un homme ni un animal, ni un adulte ni tout à fait un enfant ; un être humain adulte dans la situation d'un enfant au berceau ou d'un animal sub-humain maniprilé, sans qu'il puisse se défendre, par des " adultes " ou des "maîtres ,,. plus grands et plus forts ». LA PRESSION ne se relâchant pas, le prisonnier « commence enfin à éprouver une des émotions les plus primitives et les plus pénibles que l'homme puisse connaître, la peur de l'anéantissement total». Il faut qu'il survive; seuls survivent ceux qui confessent avec succès; donc il doit confesser - avec succès. II fouille plus profond en luimême jusqu'à ce qu'il découvre quelque chose qui est à la fois téel et mauvais. « Je peux dire un fait coupable... je peux en dire trois ... » Il s'aperçoit qu'il peut faire état de trois faits véritables - et les présenter comme plus importants, plus mauvais qu'ils n'étaient en réalité. Ses compagnons de cellule continuent à le critiquer, toujours du point de vue du «peuple». S'il laisse tomber une assiette, il gaspille l'argent du peuple ; s'il boit trop d'eau, il suce le sang du peuple ; s'il prend trop de place en dormant, il fait de « l'expansion impérialiste ». Sous cette pression qui ne se relâche pas un instant, il commence enfin à sentir qu'il est vraiment un criminel,
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