Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

LE LAVAGE DES CERVEAUX par Robert C. North DEPUIS la guerre de Corée, le phénomène de réforme de la pensée, ou « lavage des cerveaux », pratiqué par les communistes chinois, préoccupe vivement l'opinion publique ; mais les informations publiées à ce sujet visent le plus souvent à la sensation, sont déformées par une connaissance insuffisante ou obscurcies par l'émoi que l'idée même du « remaniement » du comportement soulève en chacun. L'atmosphère de mystère et de crainte qui entoure la question est plus favorable à la polémique qu'à une compréhension véritable. Le mot « lavage des cerveaux » a été employé pour la première fois par un journaliste américain, Edward Hunter, traduction littérale de l'expression familière hsi nao (« laver le cerveau») qu'il tenait d'informateurs chinois. Par la suite, ce terme devait engendrer toute une mythologie sinistre. Appliqué d'abord aux seules techniques d'endoctrinement des communistes chinois, le sens en a été bientôt étendu pour rendre compte de phénomènes aussi divers que les stupéfiantes confessions des procès de Moscou dans les années 30 et les actes d'Occidentaux ayant « retourné leur veste » dans les geôles communistes. De quoi s'agissait-il? D'un « mystérieux procédé oriental », version communiste du freudisme, ou d'une application aux humains des expériences de Pavlov réalisées sur des chiens ? En lisant la presse occidentale à ce sujet, beaucoup se rap\'elaient les méthodes d'lvanov et de Gletkine dans Le Zéro et l'Infini d'Arthur Kœstler, se demandant une fois de plus où finissait la vérité et où commençait la fiction. Plus on parlait du « lavage des cerveaux », plus la confusion augmentait. On avait grand besoin d'une étude définitive due à un chercheur qualifié. Biblioteca Gino Bianco Peut-on faire changer à un homme ses croyances les plus profondes? Si un changement intervient, combien de temps durera-t-il? Comment les communistes chinois obtiennent-ils des confessions si fantastiques, même si elles sont fausses ? Existe-t-il une défense contre le « lavage des cerveaux »? Les Asiatiques et les Occidentaux y réagissent-ils de manière différente? En cherchant une réponse à ces questions fondamentales, Robert J. Lifton *, psychiatre de formation américaine, a passé près de deux ans à Hong-Kong où il a eu de nombreux entretiens avec des personnes qui avaient subi en Chine communiste le processus de réforme de la pensée. Le Dr Lifton était admirablement préparé pour cette entreprise, ayant auparavant pris part à l'analyse psychiatrique des soldats américains capturés par les Chinois pendant la guerre de Corée, puis libérés en vertu d'un échange de prisonniers. Parmi les personnes interrogées par le Dr Lifton, il se trouvait vingt-cinq Occidentaux ayant subi le processus de réforme dans les prisons communistes chinoises, et quinze intellectuels chinois qui avaient suivi les cours de remaniement de la pensée dans des universités ou « collèges révolutionnaires ». L'auteur constata bientôt qu'un examen intensif d'un nombre relativement réduit de sujets serait plus fructueux que des contacts superficiels avec de nombreuses personnes. « La réforme de la pensée, explique-t-il, est une expérience personnelle complexe qui détruit la confiance ; il fallait du temps à un • Cf. Tliought Rt/orm and the Psycho/ogy of Totalism, New York - Londres 1961.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==