Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

E. DELIMARS réponse était un premier pas dans ce sens. Ce n'est pas par hasard que la Komsomolskaia Pravda (21 juin 1961) dénonce avec indignation Marvin L. Kalb, correspondant du Colombia Broadcasting System à Moscou, qui avait osé écrire au lendemain du sondage que « ses organisateurs avaient franchement avoué eux-mêmes qu'ils ne cherchaient point à faire une analyse statistique précise des résultats, le but de cette consultation étant tout autre : stimuler la discussion officielle et la critique obligatoire du nihilisme ». Le but a été atteint : 83,4 % de tout à fait satisfaits, 5,5 % de plus ou moins satisfaits et 11,1 % de non satisfaits et mécontents, mais qui ne demandent pas mieux que d'être convaincus qu'ils ont tort. On nous apprend ainsi que parmi les traits les plus marquants de la jeunesse soviétique 5.592 réponses placent au premier rang le « patriotisme soviétique », que plus d'un tiers soulignent les hautes qualités morales et le dévouement au Parti; 16.874 correspondants, soit 96,7 %, déclarent avoir un but dans la vie et 13.765 affirment qu'ils sont optimistes et aiment leur mode de vie, etc. · L'enquête n'avait donc touché que des éléments choisis d'avance et ses résultats furent aussitôt reportés sur l'ensemble de la jeunesse. La KomsomolskaiaPravda dresse le tableau suivant des « Dix traits marquants de la jeunesse soviétique » : - Patriotisme ; - Dévouement au Parti et convictions idéologiques ; - Volonté et autres qualités morales : esprit de décision, courage, sincérité, persévérance, héroïsme ; - Soif de connaissances ; - Sens pratique ; - Foi dans le communisme; - Dévouement à la collectivité ; - Goût de l'action; - Sens du nouveau ; - Aspiration à la paix. Tous ces traits sont très largement commentés et loués dans cet article, véritable hymne à la jeunesse soviétique et à sa belle santé morale. En conclusion, une affirmation triomphante : le fameux « problème de la jeunesse» n'a jamais existé et n'existe pas en U.R.S.S. Une fois de plus, force est de constater qu'une mémoire courte et un daltonisme spécifique doivent être des qualités essentielles chez un journaliste soviétique s'il veut faire carrière. L'auteur de pareille affirmation péremptoire a tout simplement oublié les fameux bezprizorniki (enfants abandonnés) et fermé les yeux sur beaucoup d'autres choses. Il est naturellement impossible à l'observateur imt'artial d'admettre la validité d'une généralisanon de un à mille. Par conséquent, les déductions optimistes de ce sondage n'ont de valeur que pour la proragande soviétique et ne reflètent point l'état rée des choses en U.R.S.S. Inutile Biblioteca Gino Bianco 343 de s'attarder plus longtemps sur cet exemple parfait de l'exploitation de la statistique à des fins de propagande. Du moins, l'obligation pour les organisateurs de l'enquête de sauvegarder l'apparence de l'impartialité, et surtout leur dessein de secouer l'apathie des jeunes en suscitant un débat, nous ont permis de lire quelques lettres qui méritent plus d'attention. * 'Jf 'Jf LES RÉPONSES aux questions 4 et 5 qui concernent les traits négatifs de la jeunesse sont sujets, bien entendu, aux mêmes réserves que le reste de l'enquête, mais leur signification est bien plus grande que celle des réponses optimistes, dirigées, concern~nt les traits positifs. Ici, le correspondant, qui s'est déjà classé au préalable dans la catégorie des bons komsomols, juge les brebis galeuses sans crainte de se compromettre et résume ses observations sur le milieu ambiant tel qu'il est et non tel qu'il devrait être. C'est sans doute pourquoi aucun tableau des traits négatifs ne figure en regard de la liste des belles qualités de la jeunesse reproduite plus haut. Pour combler cette lacune, empruntons à l'institut d'opinion publique sa propre méthode d'extrapolation hardie et dressons nous-mêmes ce tableau à l'aide des seules données accessibles : une douzaine de réponses que le journal a publiées in extenso (11 et 26 janv. 1961). Les treize correspondants sont unanimes à reconnaître l'existence de traits négatifs chez certains jeunes, mais tous, sauf une jeune ouvrière de Moscou, affirment qu'il ne s'agit que d'une fraction infime de la belle et saine jeunesse de !'U.R.S.S. Cette conviction optimiste, contredite par tant de choses dont la presse soviétique parle presque chaque jour, n'étonne guère : douze correspondants avaient signé leur lettre ; la jeune ouvrière préféra garder l'anonymat. Chez cette minorité véreuse, ils constatent de nombreux défauts et, en premier lieu, une « attitude indifférente et dédaigneuse » envers le milieu soviétique ambiant (mentionnée sept fois). Cette attitude se manifeste de façons très diverses et ses conséquences se partagent la deuxième Elace : d'une part, comportement « en stüiagui » (blousons dorés et zazous) avec imitation servile et outrancière des modes étrangères et engouement passionné pour tout ce qui vient de l'Occident; d'autre part, ivrognerie et « hooliganisme » pouvant aller jusqu'au crime (mentionnés six fois). « L'attitude philistine dans la vie », mentionnée cinq fois, tient le troisième rang. Elle se traduit d'un côté par le commandement : « On ne vit qu'une fois et il faut prendre de la vie tout ce r r

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