342 Le journal soulignait triomphalement qu'en réponse à la première question, 14.555 correspondants, soit 83,4 °/4, avaient affirmé qu'ils étaient satisfaits de leur génération et de ses réalisations. Chez presque tous, cette satisfaction était fondée sur leur expérience personnelle, car 470 seulement l'avaient motivée par des citations tirées de la presse ou d'œuvres littéraires; 960 correspondants, soit 5,5 %, avaient fourni à cette question une réponse ambiguë («oui et non»), et 1931, soit 11,1 %, avaient résolument déclaré : «Non, ma génération ne me plaît pas 1 • » * ,,. ,,. N ous NE SAVONS que trop quelle valeur il faut accorder aux statistiques soviétiques 2 , mais admettons pour l'instant l'exactitude de tous les chiffres précédents. Il ne fait aucun doute que le lancement de cette consultation ait été précédé et suivi par une ample discussion dans les organisations locales du Komsomol et du Parti. Les premières ne pouvaient manquer d'engager leurs membres à répondre le plus largement possible au questionnaire. Or le Komsomol comptait 18 millions de membres au début de 1959 3 • Au cours de cette même année, 2 millions de nouveaux membres furent admis. Au 1er janvier 1960, l'organisation comptait plus de 800.000 ingénieurs, techniciens et spécialistes de l'agriculture, et 3.700.000de ses membres étaient des paysans 4 • Par conséquent, en janvier 1961, au moment du sondage, les effectifs, dont le recrutement est poursuivi sans relâche, devaient être pour le moins égaux à ceux de l'année précédente. D'autre part, la limite d'âge fixée pour l'enquête était de 30 ans, alors que celle de l'appartenance au Komsomol est de 26 ans, à de très rares exceptions près. Il est donc certain qu'un nombre non négligeable de réponses. provenait de komsomols rayés des registres. Il faut y ajouter quelques lettres qui pouvaient être écrites par de jeunes «sans-parti». Tout cela réduit assez sensiblement le nombre des lettres envoyées par les membres du Komsomol. Mais même en admettant que les 18.000 réponses provenaient de ces derniers 6 , force est de constater qu'un seul membre du Komsomol sur mille s'est donné la peine de répondre à une enquête qui aurait dû passionner, s'il est vrai que 1. B. Grouchine et V. Tchikine :« Confession d'une génér~- tion », in Komsomolskaia Pravda, 21 juin 1961. 2. Cf. notre article « Statistique et propagande », in Contrat social, janv. 1961. 3. Supplément pour 1959 de la Grande Encyclopédie Soviétique, p. 12. 4. Même supplément pour 1960, p. 16. 5. Mille lettres, dont les auteurs dépassaient la limite d'âge fixée pour cette enquête, ne pouvaient provenir de membres du Komsomol. ~iblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE la mentalité des membres ressemble tant soit peu à celle que lui attribuent la presse et les discours des dirigeants. Quant aux 3 millions et demi, et plus, de komsomols ruraux, qui n'envoyèrent que 1.933lettres, c'est un komsomol sur 1.800 ou 1.850 qui se dérangea. Il s'agit donc d'une abstention plus que massive. Que signifie-t-elle ? Impossible de supposer que les autorités locales du Komsomol, qui se sont toujours acquittées avec facilité de tâches bien plus désagréables pour leurs administrés que celle d'envoyer une lettre (départs de << volontaires » dans les mines, les fermes d'élevage ou les terres vierges), sont subitement devenues incapables de faire prendre la plume à plus d'un komsomol sur mille. Il est également difficile de croire que les membres du Komsomol commencent à négliger les ordres reçus. Nous serrerons certainement de plus près la vérité en supposant qu'il ne s'agissait pas d'effectuer un sondage sincère de l'opinion de la jeunesse sur elle-même. Il fallait seulement susciter uné nouvelle campagne de propagande et de persuasion afin de remédier quelque peu au malaise qui se fait sentir chez les jeunes depuis la fin du «dégel » post-stalinien. En effet, la violente campagne de redressement des abus et d'élimination des coupables, prélude au XX]Ie Congrès, avait mis crûment en lumière beaucoup de détails repoussants et parfois horribles de la réalité soviétique 6 • Beaucoup de jeunes komsomols, même parmi les plus perméables à la propagande, se sentirent plus découragés que jamais par la disparité énorme entre la réalité quotidienne et celle que le Parti leur présente et décrit par tous les moyens d'expression à son service. Il fallait donc convaincre cette jeunesse que malgré les laideurs de la vie d'aujourd'hui, malgré ce qui les heurte à chaque instant dans la réalité, elle est foncièrement saine, probe et énergique, dévouée aux enseignements du Parti et pleine d'ardeur pour édifier le communisme. Il fallait aussi contrecarrer la déplorable impression que la campagne de dénonciation et de condamnation produit chez les satellites et dans le tiers monde. Enfin, il fallait · fournir. des arguments probants pour parer aux conclusions que la presse occidentale avait déjà tiré des révélations faites au cours de cette campagne. Il était, par conséquent, indispensable d' organiser ce sondage d'opinion de façon à lui faire donner des résultats qui permettent d'entonner, une fois de plus, un péan à la gloire de la jeunesse soviétique. Inviter le correspondant à signer sa , 6. Par exemple, l'activité du « détachement des volontaires du peuple» de Nikolaiev, composé de komsomols, commandé par Mednik qui, sous prétexte de maintenir l'ordre, avait trois ans durant soumis les citoyens de la ville à des passages à tabac et autres sévices, y compris plusieurs meurtres et viols. Cf. à ce sujet Komsomolskaia Pravda du 6 oct. 1960 et des s et 30 mai 1961, et Izvestia du 23 juin et du 21 juillet 1961.
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