Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

328 l'Assemblée. Et sans ôter à celle-ci la faculté de renverser le gouvernement par un vote de censure, ils ont voulu qu'elle ne pût rempêcher de mettre en œuvre un programme cohérent, et ils ont également voulu qu'elle ne pût être conduite à s'exprimer contre le gouvernement par une manœuvre astucieuse ou une circonstance fortuite. Désormais chaque député, en votant contre le gouvernement, aura la pleine conscience et la pleine responsabilité de son acte. Et cette abstention des timides, des indécis, voire des habiles, qui a dans le passé tant nui à nos gouvernants, tournera maintenant à leur profit. Ces sages mesures semblent, jusqu'à présent, avoir été efficaces. On peut approuver ou désapprouver la politique de notre gouvernement : du moins est-ce sa politique, et l'Assemblée ne peut guère le contraindre à changer de chemin, ou simplement entraver sa marche. D'autre part la stabilité de l'exécutif ne peut être mise en doute. Et si bien des gens voient dans les attentats de !'O.A.S. la preuve de la faiblesse du régime, on peut beaucoup plus justement y voir un témoignage de sa force, car il était sans exemple chez nous qu'un gouvernement se maintînt, lorsque agissaient des groupes de pression aussi bruyants que celui-là. Il ne faudrait cependant pas juger du futur d'après le présent. Et au moment que l'on constate la stabilité de notre actuel gouvernement, il convient de faire la part des circonstances. Des observateurs disent et répètent que le gouvernement actuel - comme en d'autres temps celui de M. Mendès France - ne pourra être renversé tant que ne sera pas résolu le problème fondamental qui a présidé à sa naissance. Les mêmes observateurs affirment aussi que la durée du gouvernement est liée au prestige du général de Gaulle. Il y a du vrai dans tout cela. Il est néanmoins certain que les circonstances n'auraient pas pesé d'un grand poids si les structures constitutionnelles n'avaient permis d'écarter tous les accidents qui, sous la IIIe et la IVe République, ~brégeaient la vie de tous les ministères. * )(- )(- EN n' AUTRESCIRCONSTANCEceSp, endant, les structures constitutionnelles ne permettraient sans doute pas à elles seules de tenir l'Assemblée en respect. Lorsque l'on constate le malaise qui règne à l'Assemblée dès que les intérêts électoraux sont en jeu on peut imaginer que, le problème algérien dépassé et le chef prestigieux disparu, l'ingéniosité parlementaire saura trouver le moment favorable pour faire adopter une motion de censure. Et sans doute le chef du gouvernement pourra-t-il alors demander au Président la dissolution de l'Assemblée. Mais une dissolution faite dans un tel moment pourrait bien donner des résultats fâcheux. Le gouvernement anglais provoque de nouvelles élections au moment qui Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL lui est favorable. Si d'ailleurs il perd la partie, le bipartisme amène au pouvoir une nouvelle majorité. Il n'en serait pas de même en France. Un vote de censure signifierait que la majorité s'est désagrégée : les artifices constitutionnels auraient cédé devant l'anarchie parlementaire. Dissoudre, alors, ce serait provoquer des élections dans un moment de confusion, c'est-à-dire dans le moment le plus favorable à la démagogie extrémiste, le plus défavorable à une majorité de gouvernement. A bien voir les choses, si on dissolvait à la suite d'un vote de censure, la situation politique serait assez analogue à celle où nous nous trouvions lorsque Edgar Faure a fait usage du droit de dissolution : en dépit de certaines apparences, la confusion était telle, que la législature sortie des élections de janvier 1956 mena la IVe République à la catastrophe. On aura toujours un résultat de ce genre lorsqu'on /, pr~ndra le pays pour arbitre au plus aigu des crises. On aboutit donc à cette étrange conclusion, que nous ne pouvons jouir des avantages du régime actuel que sous la condition que la motion de censure ne jouera pas. De sorte qu'on pourrait, avec les adversaires du régime, être tenté de penser que l'affaire d'Algérie et la présence du général de Gaulle, en détournant les députés de recourir à la motion de censure, sont les véritables raisons d'être de la durée du gouvernement, voire du régime. Sans adopter ces vues, il faut du moins admettre que les habiletés constitutionnelles ne peuvent nous donner qu'un répit. Comme on a eu l'occasion de l'exposer ici (en septembre 1959), la Constitution de lave République a sainement organisé la fonction présidentielle et la fonction gouvernementale, mais la fonction parlementaire a été négligée, et l'édifice entier risque de chanceler. En temps normal, il sera à peu près impossible de garder indéfiniment en tutelle une Assemblée sans majorité. De sorte que notre régime est condamné à revenir à l'une des trois variétés traditionnelles du parlementarisme, et qu'il s'orientera vers la première, la seconde ou la troisième selon la structure de l'Assemblée. En d'autres termes, on peut bien ruser provisoirement avec la structure de l'Assemblée, c'est pourtant elle qui, à la longue, déterminera les caractères de notre régime. Et si l'on ne fait rien pour déboucher sur la première ou la seconde variété du parlementarisme, nous retomberons inéluctablement dans la troisième, c'est-à-dire que l'anarchie parlementaire aura raison des digues constitutionnelles qui protègent le gouvernement. Nous pourrions même, grâce à quelques votes de censure suivis de dissolutions, avoir la satisfaction de découvrir quelques lois historiques, en comparant ce que cela donnera en France à ce que cela a donné dans les dernières années de la république de Weimar. Déjà les marches de l'empire secrètent des têtes brûlées, déjà sont en action chez nous des groupes analogues à ces corps francs de la Baltique où, aux nationalistes ulcérés, se mêlaient desperados et hommes de main.

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