YVES LÉVY poignée de cavaliers barbares dont le pied s'appuie sur un étrier. L'Angleterre nous apprend qu'une technique électorale peut avoir autant de portée historique qu'une technique militaire. La seconde variété du parlementarisme est assez répandue dans des pays situés au nord de la France: Belgique, Hollande, Danemark, etc. Il s'agit de pays qui comptent trois partis ou plus de trois partis. Et néanmoins, ils ont des gouvernements stables. Aucune institution formelle ne rend compte de ce phénomène. Au cours des élections, chaque parti se présente sous son drapeau. Après les élections commencent de laborieuses négociations entre des partis qui pensent pouvoir constituer une coalition majoritaire. Il arrive que ces négociations soient fort longues, mais lorsqu'elles sont terminées, les concessions réciproques sont clairement établies, le programme du nouveau gouvernement est arrêté, et le ministère, en entrant en fonction, est assuré d'une majorité parlementaire durable. Dans la troisième sorte de parlementarisme, les partis sont nombreux, mais ils ne signent jamais de pactes entre eux dans l'intention de gouverner ensemble. Les coalitions gouvernementales sont alors fragiles, et ne sont d'ailleurs jamais assurées de conserver une majorité dans l'Assemblée. L'existence des gouvernements est suspendue à l'humeur ou à l'ambition de quelques parlementaires, à l'action d'un groupe de pression, à un vote acquis par surprise, au cours d'une séance de nuit, dans un hémicycle désert. Parfois la cohésion du gouvernement est si faible qu'il est victime de ses propres membres. Cette dernière variété du parlementarisme a été merveilleusement illustrée par notre IIIe et notre IVe République. Et l'on se demandera sans doute pourquoi le système des pactes était ignoré chez nous. C'est qu'il exige des conditions qui n'étaient pas réalisées dans notre pays. Là où il est en vigueur, on observe que le régime constitutionnel n'a pas été, depuis très longtemps, sérieusement mis en question. De sorte que chaque parti représente une des tendances fondamentales de l'opinion, et que chacune de ces tendances fondamentales fait confiance à un seul parti pour défendre ses intérêts. La clientèle de chaque parti trouve normal que les dirigeants négocient entre eux. des accords, car c'est bien par la négociation que sont défendus d'une façon générale les intérêts publics et privés : en tant que citoyen d'un Etat; l'individu accepte tout naturellement que son gouvernement négocie avec un Etat étranger, quand ce serait celui pour qui il éprouve le moins de sympathie, et l'usage même des armes lui semble une ultima ratio que doivent avoir précédé.e - et que souvent accompagnent - des tentatives de négociation. Un ultimatum même n'est qu'une dernière offre d'accord. En tant que personne privée, l'individu propose toujours un accord avant d'engager un procès, et les gens sensés pensent même qu'un accord boiteux vaut Biblioteca Gino Bianco 327 mieux qu'un bon procès. Il va donc presque de soi que, là où le bipartisme ne simplifie pas le problème, la constitution d'une majorité se fasse par la voie d'accords négociés, d'autant plus qu'il ne s'agit pas de s'allier à n'importe qui, mais précisément aux partis avec qui, dans le moment considéré, on a le plus de·points communs. Ce qui nous empêche, en France, de pratiquer ce système, c'est notre héritage historique. Pour des raisons qui sont moins simples à débrouiller qu'on ne le croit parfois, il y a toujours eu chez nous des partis qui n'acceptaient pas le régime et se refusaient à tout accommodement avec lui. Les plus anciens de ces partis ont aujourd'hui disparu ou se sont ralliés au régime. Mais comme nos systèmes électoraux ne nous ont jamais protégés contre les nouveautés - et à la faveur de la confusion de notre vie politique - d'autres leur ont succédé. Or l'existence de ces partis est un obstacle décisif à la signature de pactes formels. Non parce qu'ils refuseraient de les signer, ce qui va de soi, mais parce_qu'ils pèsent sur les décisions des partis de qui ils sont le plus voisins. Un socialiste craint de justifier par ses actes -fût-ce en apparence- ceux qui l'accusent d'être un « fourrier de la bourgeoisie», voire un « fourrier du fascisme». Un modéré ne veut pas être suspect d'ouvrir la porte à l'anarchie ou au socialisme, il se défend de songer à « brader l'empire», il craint qu'on ne l'accuse de transiger sur les intérêts de cette religion qui est le seul vrai rempart de la société contre le « communisme athée». Et c'est ainsi que notre vie politique au lieu d'être fondée, comme celle des honnêtes gens, sur les discussions et les contrats, repose sur le chantage, voire sur la terreur. Car la terreur physique exercée aujourd'hui par !'O.A.S. n'est qu'une exacerbation de la terreur morale et théologique mise en œuvre antérieurement par Rome, puis par Moscou, et plus généralement une manifestation extrême des manœuvres d'intimidation exé~utées de loin en loin par divers groupes sociaux. Le nouveau parlementarisme Sous la IIIe, sous la IV8 République, on déplorait la brièveté de nos gouvernements, on gémissait de leur impuissance. Les fondateurs de la ve République devaient évidemment s'attacher à nous faire sortir de la troisième variété du parlementarisme. Mais instaurer par décision constitutionnelle le bipartisme ou le système des pactes, c'est ce qui n'était pas possible, car nos partis sont nombreux et ils ne peuvent (comme on vient de voir) signer entre eux des contrats de longue durée. Ne pouvant instituer dans l'Assemblée la structure des partis qui donne aux deux premières variétés du parlementarisme des gouvernements stables et efficaces, nos constituants ont cherché à parvenir au même résultat en agissant dans un autre domaine : ils ont de façon toute nouvelle réglé les rapports du ministère avec
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