Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

324 nence, c'est-à-dire sa terrible monotonie ; si le communisme, doctrine d'Etat, est une sorte de religion, il est une religion très pauvre, très primaire et par le ressassage il enge~dre l'ennui, que l'homme supporte toujours très mal. Certaines déchirures du voile permettent d'entrevoir la force des réactions de défense. On a donné l'importance qui convenait au fait que la révolution hongroise a été conduite par des jeunes qui n'avaient jamais reçu d'autre éducation que celle de l'orthodoxie pseudo-marxiste ; les visiteurs admis en U.R.S.S. cette année ont été ·surpris de constater non seulement que les rares églises ouvertes étaient pleines, mais qu'on y voyait beaucoup de jeunes gens, nés bien après 1917 et manifestement rétifs aux enseignements du matérialisme dialectique. La racine commune à ces deux attitudes est à coup sûr le désir d'évasion spirituelle et morale. Il est téméraire de rien inférer quant à ce que pense la masse chinoise ; qu'on se rappelle néanmoins la perfide expérience dite des « cent fleurs » et l'étonnement scandalisé des chefs devant le jaillissement inattendu des récriminations, devant l'appétit de liberté intellectuelle qui brusquement s'avouait. Les hommes ne consentent pas encore à l'aliénation totale que réclame d'eux la vie communautaire ou communiste. P AR NATURE, la révolution est expansive et belliqueuse, la conquête n'étant en somme que la conclusion nécessaire de la propagande. C'est au service de l'idéologie politique que se met en notre siècle l'esprit de croisade. On comprend qu'ici la distinction classique entre guerre civile et guerre étrangère achève de s'effacer; pour les Jacobins de 1793 un ennemi de l'intérieur ne pouvait être qu'un partisan de Pitt et de Cobourg, de même qu'aujourd'hui un Russe non communiste est virtuellement un agent américain. Cela posé, on s'explique qu'il faille nommer Clausewitz parmi les maîtres à penser de Lénine, que les débats sur la possibilité d'instaurer le socialisme dans un seul pays ou, ce qui revient au même, d'accepter la « coexistence pacifique» de régimes essentiellement antagonistes, aient toujours été au centre de la vie des partis communistes, ce débat se réduisant d'ailleurs au conflit naturel entre l'opportunisme et le fanatisme théorique. Reconnaissons sans hésiter que toute grande révolution porte en elle la guerre comme la nuée porte l'orage. Or la guerre est forcément psychologique, la meilleure, la moins coûteuse des victoires étant celle qui découle de la panique de l'adversaire, de la débâcle de sa volonté. Qui dira jamais en quelle mesure les émissions de RadioStuttgart, qu'on écoutait en France par délectation masochiste, ont facilité en 1940 la ruée des chars allemands ? Sans être nouvelle donc, la question prend de nos jours un caractère d'extrême acuité en raison de l'armement atomique . Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL et des terrifiques perspectives qu'il contraint d'envisager. Si froidement résolu que puisse être un chef inhumain, comment s'engagerait-il délibérément dans une aventure dont on ne peut augurer que l'extermination réciproque, avec permission donnée au communisme de s'épanouir sur des ruines et des charniers ? Par la force des choses, la stratégie révolutionnaire ne peut plus fonder ses espérances que sur deux hypothèses : ou bien une attaque par surprise, un gigantesque Pearl Harbor qui limiterait considérablement les effets de la riposte américaine et peut-être même l'annulerait, ou bien une préparation morale insistante et prolongée qui débiliterait l'adversaire, troublerait son esprit, alourdirait ses gestes et, à la rigueur, le détournerait de se servir de ses armes qui perdraient à la fois leur force de frappe et leur force de dissuasion. Il paraît évident que, pour le moment, les dirigeants soviétiques optent en faveur de la seconde de ces hypothèses ; outre qu'ils ont beaucoup à faire chez eux avant de risquer le tout pour le tout, on ne comprendrait pas que, méditant une prochaine et foudroyante agression, ils commencent par prodiguer les menaces et mettre le monde entier en état d'alerte. Dans la mesure où la chose dépend d'eux, l'éventualité d'une guerre totale à bref délai doit être complètement exclue. Reste le second terme du dilemme, et l'on voit bien tout ce qui milite en sa faveur du point de vue du réalisme révolutionnaire : conviction d'avoir en face de soi dans les démocraties libérales une opinion publique malléable et versatile, vite abusée ou endormie ; conviction que le capitaliste américain, l'ouvrier embourgeoisé, sont rongés par des complexes, idolâtres du confort et de la sécurité, affaiblis par la richesse, amollis par les habitudes, vulnérables de toutes manières. Quand on s'est persuadé par raison démonstrative que la société capitaliste vit son crépuscule, il est aisé d'en déduire qu'elle est, malgré toutes apparences contraires, composée de vieillards timides, et qu'il sera possible de désagréger en eux la volonté de résister. Convenons que ce calcul diabolique est en droit d'alléguer des arguments solides. Il est trop vrai que les Occidentaux et les Américains, convaincus maintenant d'être la minorité privilégiée de la planète, condamnés au nom de leurs propres principes, cultivent volontiers les névroses, le scepticisme, le fatalisme ; il est encore plus vrai que chez eux l'anarchie des idées, le goût du bavardage évasif qui ne mène à rien, la superstition des formes et des mots, la curiosité morbide, révèlent ou désignent tant de points faibles dans la cuirasse que l'ennemi est pour ainsi dire invité à frapper. Point n'est besoin d'énumérer une fois de plus ce que tout le monde sait ou devrait savoir, d'expliquer l'action sur les esprits de la radio et de l'imprimé, des innombrables agents secrets, des partis communistes et des groupements progressistes, des

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