Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

322 recours aux complots et aux attentats ; en vain le bon sens les déclare absurdes, odieux par leur injustice, sans proportion aucune avec la masse qu'ils prétendent renverser. Comme d'habitude en de telles matières, le bon sens passe à côté de la question et ne comprend pas la véritable portée des actes qui le scandalisent. Au reste, et cela dispense d'insister, qui veut voir les ressorts et les conséquences de l'action psychologique à ce niveau ne saurait mieux faire que de relire Les Démons de Dostoïevski ; le romancier est ici grand historien, profond sociologue. Mais il faut se hâter de confondre agitation et propagande, donc à partir des incidents quels qu'ils soient, surtout s'ils sont choquants et angoissants, de toucher des millions d'hommes qui a priori n'en pensent rien. Ici s'imposent des distinctions afférentes aux conditions de la vie moderne. Notons d'abord que l'action subversive, partout où elle est combattue par la police, réduite à la clandestinité, doit encore s'en tenir à des moyens de propagande d'une médiocre portée, tels les tracts illicites et les inscriptions, mais que de plus en plus la tolérance des démocraties, la diffusion du journal, l'usage de la radiophonie et de la télévision, les connivences délibérées ou inconscientes, assurent aux entreprises de l' Agitprop ou de toute organisation semblable une audience qui bientôt .s'élargira aux dimensions de la planète. Ajoutons qu'on n'est pas tout à fait dans la vérité quand on déclare qu'on s'adresse ainsi à une foule; l'homme qui, chez lui, lit son journal ou tourne le bouton de sa radio n'est tout de même pas simplement une molécule dans une masse. Tout passera sur un autre plan quand on pourra l'arracher à son existence personnelle, l'agglomérer à la pâte vivante, le baigner d'ondes psychiques plus puissantes ; pour le moment il est un parmi des millions d'autres, mais il n'a pas l'impression d'.être confondu avec eux. Comment lui faire vouloir ce qu'il n'a aucune raison de vouloir spontanément, éveiller en lui des pensées contraires à ses habitudes et même à son tempérament ? Sa personnalité, d'ailleurs lointaine et muette pour qui s'adresse à lui, n'étant pas encore désagrégée, on ne saurait attendre de lui que des mouvements élémentaires dictés surtout par l'irritation, la mauvaise humeur, l'angoisse, bref tout ce qui condamne implicitement l'état de choses existant et fait vaguement souhaiter sa destruction. Nous voilà contraints de constater que l'œuvre de subversion bénéficie chaque jour d'une funeste complicité, procurée par ceux-là mêmes qui se piquent de la combattre ou s'affirment enclins à la neutralité. L'homme étant ce qu'il est, que devrait-on faire pour l'immuniser contre l'action du démon, sinon travailler à fortifier en lui le courage, le calme, l'esprit de mesure, le sens .. Biblioteca. Gino Bianco , LE CONTRAT SOCIAL des proportions ? Or, il n'est que trop facile de le vérifier, quiconque vient de s'informer par les moyens qui so~t à _sa disp?sitio~ se sent invariablement plus 1nqu1et,plus 1mpat1ent, plus déprimé ; d'un bout à l'autre de l'éventail politique et malgr~ les ~~i~sions ou l:s ~éfor- · mations, le style Journalistique se defimt par la recherche du sensationnel, le grossissement affolant des détails, la suscitation des fantômes ou des prévisions sinistres. On dira que si la sépia coule à flots, c'est parce que notre siècle ne nous a pas épargné les occasions de trembler ou de nous indigner ; mais croit-on que le meilleur moyen d'y parer soit ·de tout noyer en un confus pessimisme ? Compte tenu des causes objectives de nos soucis, il reste à faire la part, la part très large, d'une complaisance professionnelle pour le choc nerveux, la littérature emphatique, les pronos- ., tics invariablement catastrophiques, tout cela sans la moindre compensation constructive, sinon sous la forme de vagues lieux communs qui ressemblent à des vœux pieux. Le lecteur a le choix entre le désespoir fataliste et une indifférence blasée qui justifie l'appel _au divertissement. . Si les communistes étaient portés à reconnaître leurs dettes, ils devraient remercier la presse du monde libre, auxiliaire bénévole qui répand autour d'elle le défaitisme et la névrose; quant à celle qu'ils contrôlent ou influencent, elle sait depuis longtemps · que le principe de la propagande au premier degré réside en l'association de revendications particulières et de slogans généraux qui ont valeur de flèches indicatrices. Il se forme de la sorte des connexions solides entre le prix des cigarettes et l'impérialisme américain, les embarras de la circulation routière et le bellicisme des « revanchards » allemands. Cette logique instrumentale puise sa force dans l'audace des répétitions convergentes. Il n'est pas interdit de croire qu'on peut, en politique, parler raison à un homme, mais il est inimaginable qu'on tente de parler raison à une' foule. La subversion a donc fait un grand pas et l' Agitprop accru notablement ses chances dès que l'émotion extirpe les individus de leur domicile pour les jeter sur le forum ou, plus vulgairement, dans la rue. Alors s'accentue le règne des passions élémentaires, baissées d'un · ou plusieurs degrés quant à la substance psychique, relevées simultanément quant à la violence. On ne saurait mieux qjre à leur sujet que Hitler dans Mein Kampf; il avait très bien compris qu'elles dérivent toujours de la peur, de la colère et de la haine, qu'il s'agit de faire culminer en adoration quasi physique d'un chef personnel, porteur d'un mythe messianique. D'où l'échauffement collectif par la pression de l'un sur l'autre, la marche, les cris, le tonnerre des haut-parleurs, la frénésie verbale à la manière

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