L.BS PARTIS ET LA DÉMOCRATIE par Yves Lévy IV La révolution de 1830 VICIÉE à la source par les passions des témoins et la discontinuité des faits relatés, l'histoire est altérée ensuite par le travail de l'historien qui, à partir de cette information incertaine et fragmentaire, s'étudie à écrire un récit suivi, et se fonde sur l'évidence pour interpréter ses documents et en combler les lacunes. Un autre historien vient ensuite, qui interprète ce mélange d'évidences et de faits contrôlés. De nouvelles évidences - logiques ou passionnelles - s'imposeront à lui, qui n'auront plus guère de rapport avec le passé qu'il cherche à décrire. Le suivant fera pis encore. Et c'est ainsi qu'un événement historique peut passer pour bien connu alors que, d'ouvrage en ouvrage, la connaissance qu'on en a ne cesse de se dégrader. * ,,,. ,,,. QUI CROIRAIT que la révolution de juillet 1830 doive être mise au nombre de ces événements de plus en plus mal interprétés ? C'est pourtant de quoi il faut se convaincre lorsque l'on compare les récits avec les faits. De plus en plus, les récits tendent à se résumer en deux propositions. L'une est que l'appel au duc d'Orléans fut le fruit soit d'un complot récent, soit même d'une improvisation hâtive. L'autre proposition, c'est que les républicains formaient une masse redoutable et ont été victimes à la fois de la machination orléaniste et de l'indécision de La Fayette. Or ces deux propositions sont à peu près inadmissibles. On nous dit que le duc d'Orléans a été porté sur le trône par une campagne du National (journal fondé le 3 janvier 1830), voire par une inspiration de Laffitte ou de Thiers, surgie le 30 juillet dans le vide qui suivit la victoire populaire. Or nous avons montré dans un article précédent 1 que l'idée de la substitution du duc d'Orléans aux rois de la branche aînée n'avait cessé d'occuper les esprits au cours des seize ann~ de la monarchie restaurée. Nous avons 1. Contrat 1ocial, juillet 196o, pp. 214-215. Biblioteca Gino Bianco découvert un auteur qui, dès 1817, parle de « la meilleure des républiques». Nous avons cité dix textes, et nous aurions pu en citer trente. Nous aurions pu, notamment, rappeler que dès 1822 Paul-Louis Courier (dans sa première Réponse aux anonymes) se dit accusé par certains d'être orléaniste, tandis que d'autres lui disent : « Vous n'êtes point orléaniste (...) vous êtes républicain. » Le terme existait donc, et désignait indubitablement le partisan d'un nouveau régime. C'est d'ailleurs l'opinion de Littré qui (sans citer d'exemple) inscrit dans son Dictionnaire le terme orléanisme, et le définit : « Pendant la Révolution et la Restauration, opinion de ceux qui voulaient substituer la branche d'Orléans à la branche aînée des Bourbons.» Nous avons dit également pourquoi l'idée d'une substitution dynastique jouissait d'une telle faveur sous la Restauration : la monarchie constitutionnelle n'ayant, semblait-il, commencé à bien fonctionner en Angleterre qu'après la révolution de 1688, on en déduisait que la France, inévitablement, serait conduite à faire une révolution semblable. * ,,,. ,,,. OR ce courant d'idées a curieusement échappé aux historiens. Entièrement ? Non. Paul Thureau-Dangin, en 1876, faisait état de propos où Benjamin Constant, Salvandy, Manuel, Mignet, Montlosier, Lamennais rappelaient la fin des Stuarts (Le Parti libéral sous la Restauration, pp. 460-465). « L'illusion de cette ressemblance », concluait-il, a donné... .. .l'autorité et le prestige d'un précédent historique à un expédient qui, sans cela, n'eüt probablement attiré et satisfait personne. Elle a permis à des esprits fort soucieux de stabilité d'aller à la révolution, ou de s'y laisser conduire avec une sorte de sécurité. Il s'étendait ensuite longuement sur le rôle du National et notait que « nulle part le souvenir et la menace de 1688 n'étaient évoqués avec autant de persistance et d'audace» (p. 470).
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==