244 au cœur des préoccupations collectives, sinon individuelles : l'avenir de la civilisation. Nous ne pouvons retenir de cet ouvrage aussi brillant qu'aventureux que ce qui se rapporte à notre souci d'histoire de la société et des doctrines correspondantes. Sur la relation du freudisme au marxisme, rappelons que le maître, bien qu'il ait été mal considéré par les tenants de la nouvelle Inquisition, avait depuis longtemps suggéré une transaction en faisant glisser le refoulement du côté du Travail, mais le principe corrélatif du Plaisir n'avait ri~n pour plaire à ceux qui ont toujours dénoncé dans le freudo-marxisme un effet de la «pourriture bourgeoise». Sans vouloir soutenir des tentatives aussi malheureuses que celle de Reich, dont il montre bien qu'elles procédaient d'un malentendu concernant la psychanalyse elle-même, N. O. Brown entreprend une brillante contre-offensive visa~t le marxisme. Celle-ci se fonde pour une grande part sur les résultats de l'ethnographie contemporaine et s'en prend au concept d'« économie» lui-même, si l'on entend par là une activité attachée à la seule satisfaction des besoins matériels, ces besoins matériels qui sont précisément communs à l'homme et aux animaux. A la lumière de ces travaux ethnographiques, il devient douteux que ce qu'on appelle «économie », non seulement chez les civilisés mais aussi chez les hommes qu'on suppose plus proches de la nature, poursuive une finalité exclusivement «économique ». Les origines de l'économie, qu'il s'agisse du travail excédentaire par rapport aux besoins naturels, des échanges en forme de don, de la monnaie, du crédit, etc., sont sacrées plutôt que simplement profanes. Or, quand c'est un psychanalyste qui parle, qui dit «sacré », dit «culpabilité», et .culpabilité, c'est, bien entendu, refoulement. En proie à ce délire d'interprétation que les psychanalystes ont précisément en commun avec les. marxistes, l'auteur va souvent plus loin qu'il ne faudrait. C'est ainsi qu'il estime que dans l'échange rituel des cadeaux, le donateur, « s'il ne perd pas, ne gagne rien non plus » (p. 318), ce qui obligerait à recourir à la sacro-sainte culpabilité pour expliquer son étrange conduite. Or il est bien connu qu'il y gagne en «prestige», et par conséquent en puissance sociale, d'autant que cet excès de générosité a pour but de mettre celui qui reçoit dans l'incapacité de rendre le «bienfait » et de le placer sous une condition de dépendance, ce qui n'est pas «rien». L'argument de fait vaut cependant contre la simplicité des interprétations par le comportement de l'homo œconomicus que l'on suppose fictivement préoccupé exclusivement de gain matériel. Mais il n'est pas dit qu'il porte vraiment contre Marx, dont la pensée est autrement complexe que celle des libéraux, même si de ce fait elle paraît moins cohérente. Demeurent valables, non seulement la critique de l'homo œconomicus, mais encore Biblioteca Gino Bianco , LE CONTRAT SOCIAL celle du prétendu «communisme primitif», image naïve à laquelle Engels a sacrifié plus que Marx. Enfin, il est très digne d'intérêt de souligner que le travail excédentaire, source lointaine de la plus-value marchande, se présente d'abord comme une production réservée aux dieux. La thèse de l'auteur, c'est que la critique dirigée par Marx contre l'économie capitaliste pourrait valoir contre toute économie, ancienne ou moderne, parce qu'il n'y a jamais eu d'économie simplement «naturelle». Un critique marxiste ferait sans doute valoir en retour que l'on n'a jamais vu des hommes, anciens ou modernes, se nourrir exclusivement de «sacré ». Sans doute aurait-il raison, mais on pourrait encore lui objecter que là n'est pas la question et que l'unilatéralité de l'un ne vaut pas mieux que celle de l'autre : les hommes ne se nourrissent pas seulement de pain, si tant est que, pour simplifier, ils pourraient se contenter d'herbe. C'est d'ailleurs à un vœu de ce genre qu'aboutit N. ·o. Brown, qui paraît effectivement faire le procès de toute civilisation en donnant aux hommes comme exemple les animaux non refoulés. Il reste que ce livre aventureux, touffu et dont nous ne pouvons ici sonder toute la richesse, invite à de sérieuses et parfois fructueuses réflexions. AIMÉ PATRI. Les pseudo-syndicats . , . sov1et1ques La Situation syndicale en U.R.S.S. Rapport d'une mission du Bureau international du Travail. Genève 1960, 152 pp. C'EST le Bureau international du Travail qui publia, en 1927, la première étude digne de foi sur les syndicats soviétiques : Le Mouvement syndical dans la Russie des soviets. A ce jour, cet ouvrage n'a rien perdu de sa valeur. En proposant d'approfondir l'examen de .la liberté syndicale, le groupe ouvrier du Conseil d'administration de l'Organisation internationale du Travail s'est sans doute inspiré de cet exemple heureux. Il fut, en effet, précisé qu'il importait d'effectuer une série d'enquêtes qui ne se limiteraient nullement aux informations officielles, mais impliqueraient également des études menées sur place, celles-ci permettant une description objective de la situation de fait. • Il se trouve malheureusement, parmi les activités passées de !'O.I.T., des précédents tels que les votes réitérés par lesquels la Conférence . internationale du Travail, au temps de Mussolini, reconnaissait aux syndicats fascistes le droit de parler . au nom des ouvriers italiens. Le souci d'obtenir à tout prix l'adhésion du plus grand nombre possible d'Etats ruina plus d'une fois les recherches sérieuses qui avaient constitué
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