Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

QUELQUES LIVRES cette réunion traitaient avec la plus grande courtoisie les délégués asiatiques non communistes, au nombre desquels Jawaharlal Nehru. Ils écoutaient avec une apparente approbation les arguments de ces délégués, mais ils le faisaient pour des raisons de pure tactique. En dépit de leur affabilité de commande, ils gardaient bien en main la conduite officielle du congrès (la principale résolution fut rédigée par le chef de la rubrique de- politique étrangère de Rote Fahne, organe central du P. C. allemand); entre eux, ils qualifiaient les idées de leurs alliés temporaires de notions «bourgeoises» ou « petites-bourgeoises » ne méritant aucun intérêt théorique. Les communistes ne respectent évidemment les représentants du monde non communiste ni intellectuellement ni moralement. Mon compagnon confirma cette observation en se fondant sur ses propres expérien~es en U.R.S.S: e~ :n Europe orientale. Plus recemment, un ecr1va1n chinois, Chow Ching-wen, réfugié à Hong-Kong après huit ans d'étroite collaboration avec les communistes, arrivait à une conclusion identique : les maîtres de Pékin croient que d'éminents chefs nationaux non communistes tels que U Nu, Nehru et Soekarno peuvent, convenablement maniés, être fort utiles à la cause ; en conséquence, «ils n'attaquent pas ces dirigeants, mais ils n'ont pas non plus de respect pour eux » *. Les communistes suivent un schéma de pensée et d'action unique en son genre. En effet, sur les points fondamentaux, leur, cond~~te est . en complet désaccord a':'ec les regl~s eleme~taires de la procédure rationnelle. Michael Lindsay a traité de ce phénomène dans une des premières études consacrées à la question, China and the Gold War (1954), et Gerhart N~em~yer a pous~é plus loin l'analyse dans An lnquiry into the Soviet Mentality (1956). Selon Niemeyer, cet élément irrationnel est dû à l'image d'une société future qui amène les communistes à rejeter toutes les valeurs et institutions existantes. Frank Meyer élargit la discussion en étudiant les conditions qui font le communiste «différent de tout ce que . nous connaissons ». Si le communiste est autre, quel est le jeu des forces qui le rend tel ? Pour répondre, F. Meyer puise dans l'histoire de ses quatorze a~ées de participation au mouvement communi~t~ a~ Etats-Unis et en Eurol'e. D'autres, dont 1 histoire est similaire, ont décrit leurs expériences surtout en termes personnels, et Meye; reco~aît ce qu'~l doit à ces témoignages autobiographiques. Mais lui s'y prend autrement. Il s'occupe non de la • Chow Ching-wcn : Ten Years of Storm. New York 1960, Holt, Rinchart & Winston. Biblioteca Gino Bianco 239 vie d'individus, si représentatifs soient-ils, mais des forces générales qui commandent toutes leurs expériences. C'est cette manière d'aborder le problème qui donne une valeur exceptionnelle à The Moulding of Communists. Meyer tient compte des diversités personnelles, nationales et culturelles, comme le prouve l'attention qu'il porte à certaines particularités de la politique chinoise en matière d'endoctrinement. Mais son analyse confirme la conclusion que Lin Yu-tang tire dans son introduction au livre de Chow Ching-wen : « Dans ses actions, sa pensée, ses mobiles et son organisation, un communiste chinois est semblable à tous les autres communistes, qu'ils soient tchèques, polonais ou hongrois. » La première partie de l'étude de Meyer, «La théorie de la formation communiste », recense les objectifs de cette formation et les moyens employés. Ce qu'on cherche à produire, c'est «un type idéal, le type du parfait communiste, le bolchévik». Meyer esquisse ce type dès l'abord (chap. I et II), mais à mesure que l'analyse progresse, il complète les détails, si bien qu'à la fin le lecteur a dev~nt lui une image vivante et absorbante du «parfait » communiste, de sa façon de penser et d'agir. L'instrument fondamental du processus d' endoctrinement est bien entendu le parti communiste (chap. III). Ses principaux moyens sont la _pression philosophique, les dogmes du marxis_meléninisme (chap. IV) et la pression psychologique (chap. V). * li- liLa deuxième partie, «La pratique de la formation communiste », décrit le mécanisme complexe de ce processus, le recrutement (chap. VI), l'admission comme membre de base (chap. VII) et enfin l'accession au rang de communiste aguerri, ou «cadre ». Au cours de ce processus, de nombreuses difficultés et crises surgissent, surmontées par diverses mesures éprouvées et par le filtrage qui élimine les éléments inaptes. Cela explique la très grande instabilité des effectifs communistes. Dans le P.C. américain, elle a atteint, de 1936 à 1941, jusqu'à 80 %-Mais, selon Meyer, le phénomène affecte essentiellement les membres de la base. Et de rappeler «quel faible pourcentage de communistes aguerris, passés par les meules de la bolchévisation, ont rompu avec le Parti » ; plus particulièrement, « dans le parti américain, je ne connais pas vingt "cadres" communistes qui aient rompu depuis vingt ans, malgré les graves crises de 1945 et 1956 ». L'étude de Meyer offre de profonds aperçus psychologiques, sociologiques et philosophiques : chaque phase de sa démonstration mérite la plus grande attention. Il faut notamment citer ses commentaires sur le l'hénomène psychologique central, les raisons qw poussent à devenir et à rester communiste, en dépit des innombrables pressions, conflits et crises que cela entraîne.

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