QUELQUES LIVRES vestir ; mais elle réduit en même temps les possibilités d'investissement, à la fois dans les branches monopolisées qui ne peuvent maintenir leurs prix qu'en freinant la production, et dans le secteur concurrentiel où la baisse du taux de profit n'encourage guère les placements. Cette contradiction se résout par l'exportation des capitaux. Mais celle-ci exige, à la différence de celle des marchandises, la protection des capitaux investis à l'étranger, si besoin est, par la mainmise de l'Etat impérialiste sur les territoires à «protéger». Un autre corollaire de la monopolisation est le renforcement du protectionnisme. Les monopoles ne peuvent relever ou maintenir leurs prix qu'en se mettant à l'abri de la concurrence étrangère. En même temps, ils ne peuvent exporter leurs produits dans les pays eux aussi protégés qu'en recourant au dumping : l'exportation sans profit, voire à perte, leur est néanmoins profitable à la condition que les surprofits réalisés sur le marché national surcompensent les pertes, et cette surcompensation a lieu puisque l'utilisation plus complète de leur potentiel réduit le prix de revient à l'unité. Le dumping est évidemment inopérant si la disproportion est trop grande entre la fraction exportée à perte et celle vendue avec surprofit sur le marché intérieur. D'où la tendance à l'élargissement du territoire national, autre caractéristique de l'impérialisme. * }1- }1L'analyse de la nouvelle structure sociale est tout aussi pénétrante. Du point de vue de l'organisation, l'économie dominée par le capital financier - celui-ci étant défini par Hilferding comme le capital bancaire se fixant dans l'industrie et la dirigeant - crée les dernières conditions de la réalisation du socialisme. Une économie organisée est en train de naître et de discipliner les mouvements désordonnés de la libre concurrence, mais elle naît sur une base antagonique, en aggravant toutes les contradictions du système exposées par Marx. Cette évolution renforce les antagonismes sociaux, mais elle permettra aux travailleurs accédant finalement au pouvoir de prendre possession d'un appareil productif d'ores et déjà organisé et coordonné par les soins mêmes du capital financier. D'un autre point de vue encore, cette évolution facilitera la transition à l'ordre nouveau. Reprenant et développant certaines idées ébauchées par Marx 3 , Hilferding met en évidence (chap. XXV) le rôle de l'actionnariat en tant qu'il séR_arela propriété de la direction des entreprises. L oligarchie monopoliste-financière domine une économie dont elle n'a pas la propriété. C'est pourquoi Hilferdin~ ne parle pas de l'expropriation de cette oligarchie, mais de sa « dépos3. Le Capital, livre lll•I, chap. 27. Biblioteca Gino Bianco 237 session» 4 • Devenue maîtresse de l'économie, la collectivité n'aura donc plus à «exproprier les expropriateurs » comme l'imaginait Marx en analysant un capitalisme encore embryonnaire 5 , mais à «déposséder» une oligarchie qui s'était ellemême chargée, au préalable, de l'expropriation des capitalistes de l'époque de Marx. Hilferding ébauche ici des idées que Karl Renner développera systématiquement, en I 926 et I 929, pour présenter une théorie originale de la socialisation que le mouvement socialiste de nos jours s'obstine à ignorer, comme d'ailleurs tout ce que les grands théoriciens, de Karl Kautsky à Otto Bauer, ont écrit à ce sujet. Dans cet ordre d'idées, il importe de signaler encore l'analyse que présente Hilferding des modifications s.urvenues dans la structure de la classe capitaliste 6 • Du fait de la réduction du taux de profit dans le secteur concurrentiel, le bénéfice de l'entrepreneur s'y ramène de plus en plus au simple «salaire de direction », le profit proprement dit (qui est une fraction de la plusvalue) étant accaparé par les monopoles. On est dès lors en droit de se demander si une socialisation de ce secteur, d'ores et déjà dépouillé de ses attributs capitalistes essentiels, peut encore se recommander ou se justifier 7 • * }1- }1Dans quelle mesure Le Capital financier a-t-il conservé une valeur d'actualité un demi-siècle après sa publication ? L'impérialisme d'hier s'étant liquidé, l'analyse de ses forces motrices par Hilferding appartient désormais à l'histoire des doctrines économiques. Les monopoles capitalistes existent toujours, mais leur action est aujourd'hui plus efficacement entravée que jadis, à des degrés divers selon l'influence que, dans tel . ou tel pays, les forces de l'anticapitalisme organisé parviennent à exercer sur la législation économique et sociale. L'accumulation du capital, sur laquelle les pouvoirs publics agissent aujourd'hui avec une efficacité certaine, est soustraite à la volonté absolue et discrétionnaire de l'oligarchie des monopoleurs. C'est au sein des parlements et des gouvernements démocratiques que s'affrontent les différentes forces sociales pour imprimer aux investissements telle ou telle orientation. Le secteur public - nous ne parlons pas que des entreprises nationalisées, mais aussi de la propriété 4. Il est fort regrettable que sur ce point précis, la traduction italienne (p. 487) ait rendu le mot allemand Depossedierung par espropriazione, alors qu'il eût fallu dire spossesso, ce qui est, on le voit, plus qu'une nuance. 5. Le Capital, livre I, chap. 24. 6. Chap. XV, et plus particulièrement pp. 303-304 de l'éd. italienne. 7. Si les social-démocrates allemands avaient lu (ou relu) Hilferding et Renner avant de rédiger leur nouveau programme, ils n'auraient pas eu besoin de justifier des positions pratiques parfaitement idoines par un retournement doctrinal aussi peu justifié qu'inutile.
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