A. PATRI ~~ ~e travail ~ais n?n la ~ort; Hegel, qui a definittvement raison, a la fois le travail et la mort. ~1.Y a là ?e quoi con!e~ter à la fois l'esprit reli~eux et 1a~ee : celw-ci apprend avec satisfactton que « Dieu est mort » et que le travail lui a succédé, mais le religieux se console puisqu'on l'informe que c'est à l'occasion d'un « Vendredi saint spéculatif» que l'acte de décès a été publié, toute la sagesse de Hegel n'étant que « théologie chrétienne laïcisée» 16 • A la satisfaction du chrétien e! ~e l'athée se j~int celle du philosophe et d~ mili!ant: Le ,Philosophe apprend qu'il est desormais dispense de chercher : à la philosophie, ~'est-à-dire à l'amour de la sagesse, va se substituer la sagesse enfin réalisée, puisqu'on fournit le « Livre absolu » de Hegel (sans doute avec la glose du commentateur, pour qu'on puisse être certain). De son côté, le militant, désormais « post-révolutionnaire », foule le sol de l'« empire universel et homogène». C'est la « fin de !'Histoire» : l'action et la contemplati~n ~ont enfin ré~onciliées, il n'y a plus de maître ni d esclave, mais des esclaves-maîtres et des maîtres-esclaves. Puisqu'il n'y a plus rien à faire, la seule crainte que l'on puisse désormais éprouver est de s'ennuyer 17 • Telle est, honnêtement exposée (les outrances apparentes ne sont pas notre fait), la pensée de Kojève. S'agit-il aussi de- la pensée profonde de Hegel ? Nous n'avons pas qualité pour décider. Il semble que l'auteur ait voulu pousser jusqu'au Kamtchatka une des deux interprétations possibles de la Phénoménologie de l' Esprit. Lorsque la chouette de Minerve, visiblement écœurée par la mort sans phrase ou terreur révolutionnaire, parle de s'envoler vers «une autre terre» 18 , de quoi s'agit-il ? Cet oiseau veut-il exprimer sa satisfaction de voir se constituer le nouvel ordre napoléonien, comme le soutient Kojève, qui ne craint pas de supposer les noces mystiques de !'Empereur universel et du Sage de la Fin des Temps (là encore, nous n'inventons rien) ? Le volatile estime-t-il plus prudent, compte tenu des vicissitudes des choses de ce bas monde, d'émigrer vers les sphères célestes de l'Art, de la Religion et de la Philosophie ? Cette autre interprétation risquerait de nous conduire en Patagonie, en faisant de Hegel un philosophe comme les autres. Il est plus vraisemblable d'admettre que le penseur qui, sous le nom de «dialectique», a cultivé systématiquement l'équivoque, n'était pas « l'esprit certain de lui-même » qu'il voulait 16. Kojève : /oc. cit. 17. Cette conséquence a été tirée expressément par Kojhrc dans une étude intitulée « Le dernier Monde nouveau •, in Critique, n° 111-112, aoClt-scpt. 1956. 18. PhE. Biblioteca Gino Bianco 235 paraître. Nous renonçons à savoir si !'Esprit absolu doit avoir ou non une réalisation temporelle. Le mérite de Kojève est d'avoir tranché avec une telle hardiesse, engageant simultanément l'interprétation de Hegel et les destins du monde, q?'.on se demande s'il a voulu jouer ou parler serieusement. Hegel a vécu assez pour apprendre qu'après Iéna, il y avait eu Waterloo, et se rabattre sur son maigre seigneur prussien. Kojève luimême est bien placé pour savoir que, depuis lors, les eaux n'ont cessé de couler. Où voulait-il en venir, au temps de ces leçons? La Fin des Temps ayant été ajournée, on a dit, et il a laissé dire, semble-t-il, que son objet était de retrouver la terre de ses ancêtres pour offrir au César du lieu l'hommage d'une doctrine un peu plus relevée que son matérialisme. Ce présent a été repoussé par les théologiens de la nouvelle orthodoxie, mais pieusement recueilli par les syncrétistes d'Occident. Dans son remarquable ouvrage consacré à l'examen critique des doctrines du progressisme chrétien, le R.P. Fessard fait un sort particulier à la dialectique du maître et du serviteur, où il voit la source commune du bolchévisme et du nazisme, au moins lorsqu'on envisage leur filiation à partir du royaume des idées. Nous savons qu'il a lui-même suivi les leçons d'Alexandre Kojève. Mais, avec beaucoup de perspicacité, il ne peut manquer d'observer que l'interprétation marxiste du texte hégélien met les choses à l'envers : pour Hegel, au commencement était la Lutte, ensuite est venu le Travail; pour Marx, c'est tout le contraire. Il s'ensuit assez paradoxalement que la seule interprétation correcte du texte serait celle qu'il attribue au nazisme 19 • On voit par là comment peut se constituer une attitude mentale apparentée au bolchévisme comme au nazisme, et qui penche tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, suivant les fluctuations de la conjoncture historique. Le thème, à la fois hégélien et nietzschéen, de la «mort de Dieu » joue un rôle analogue pour favoriser la confusion entre athéisme et mysticisme : le progressisme chrétien est un confusionnisme systématique, mais le progre~sisme existentialiste ou athée ne l'est pas moins. Considérée sous un jour plus positif, non pas tant par. r~l?port ~ la source des. doctrines qu'à leur vahdite relativement aux faits, la question n'est cependant pas tranchée. Elle mérite toujours d'être posée. Qu'en est-il, en fait, des relations entre violence, domination et servitude ? Peut-être suffit-il de constater, indépendamment de l'hégélianisme et du marxisme, que si la yiole~ce est capable de fonder, elle ne suffit Jamaispour conserver. AIMÉ PATRI. 19. G. Fessard : De l'actualitl historiq11e, t. I, pp. 130 sqq.
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