rev11e historique et critique Jes faits et Jes iJées Juillet-Août 1961 Vol. V, N° 4 LE PROGRAMME COMMUNISTE par B. Souvarine LES DISCIPLES de Staline ont lancé à travers le monde avec plein succès, le 30 juillet dernier, une nouyelle campagne supplémentaire de propagande sous forme du « Projet de programme du parti communiste de l'Union soviétique». A ce texte interminable où la rhétorique creuse et sonore alterne avec les affirmationsfausses et les promesses fallacieuses, la presse occidentale a fait écho et accueil comme on l'escomptait à Moscou, sous réserve çà et là de quelque scepticisme au sujet des promesses dont la réalisation, même sur le papier, est renvoyée aux calendes grecques. Le projet de programme laborieusement rédigé après trente ans de réflexion et de parturition par une armée de scribes aux ordres ne sera adopté qu'en octobre, au xxue congrès du Parti, mais il sert déjà de thème aux commentaires les plus trompeurs, d'un côté, les moins pertinents, de l'autre. En attendant que ce «projet » devienne définitif, il convient de se demander quel sort a été réservé aux deux programmes précédents dont le parti communiste de !'U.R.S.S. se réclame encore. En réalité le premier programme, celui de 1903, voté au ne congrès du parti social-démocrate ouvrier de Russie, n'était pas plus communiste au sens actuel du terme que le parti luimême : c'était un programme social-démocrate étroitement apparenté à celui d'Erfurt de la socialdémocratie allemande et à celui du « Parti ouvrier français »de l'époque. Il tenait lieu de programme à toutes les fractions social-démocrates de la Russie, y compris celle des menchéviks, jusqu'à la révolution d'Octobre, même jusqu'au congrès communiste de 1919, et par conséquent les bolchéviks n'ont aucun droit de le revendiguer en propre. Avant la guerre de 1914, les étiquettes de socialiste, de collectiviste, de social-démocrate, de communiste, étaient interchangeables et longtemps Lénine, pas plus que Marx et Engels avant lui, n'attacha de signification spéciale à l'une ou l'autre, quitte à préférer celle de communiste quand il voulut, à l'instar de ses prédécesseurs, se différencier des autres tendances socialistes. Le parti social-démocrate de Lénine Biblioteca Gino Bianco ne changea de nom qu'en 1918, un an avant de changer de programme. Le préambule de l'actuel «projet» ose avancer ce qui suit : En adoptant le premier programme à son IIe Congrès de 1903, le parti bolchévik appelait la classe ouvrière, tous les travailleurs de Russie, à lutter pour le renversement de l'autocratie tsariste, puis du régime bourgeois et pour l'instauration de la dictature du prolétariat. En février 1917, le régime des tsars fut balayé. En octobre 1917, la révolution prolétarienne détruisit le régime capitaliste tant exécré par le peuple. Pour la première fois dans l'histoire un pays du socialisme était né. Un monde nouveau fut mis en chantier. Le premier programme du Parti était réalisé. Or le « parti bolchévik» n'existait pas en 1903 ; le programme social-démocrate fut voté par un congrès social-démocrate, la scission qui divisa ensuite le Parti en bolchéviks et menchéviks concernant exclusivement un article des statuts et l'élection des rédacteurs de l'Iskra; les fractions se séparèrent, se rejoignirent, se séparèrent de nouveau, et la rupture finale ne se produisit qu'en 1912, avec la conférence de Prague qui, selon l' Histoiredu Parti officielleen 1938, « marque la naissance d'un parti de type nouveau, le parti du léninisme, le parti bolchévik» (p. 136 de l'éd. fr.). Le programme rédigé par Plékhanov avait été présenté au Congrès par la rédaction de l'Iskra dont cinq membres sur six, Plékhanov, Martov, Axelrod, Potressov et Véra Zassoulitch, devaient se rallier au menchévisme ; le sixième, Lénine, prit une part très active à la discussion de ce texte, proposa sa propre version et ses amendements, mais sans opposition doctrinale. « En février 1917, le régime des tsars fut balayé», dit le projet actuel, mais nullement par le parti bolchévik : il s'écroula par épuisement dû à la guerre, par incapacité de se réformer à temps et sous une poussée poEulaire dans laquelle aucun parti socialiste n'eut d influence majeure. « Notre parti ne joua pas un rôle décisif dans la révolution de février 1917, et il ne pouvait le faire, car la classe ouvrière était alors pour la défense nationale », écrit Zinoviev dans son Histoire du Parti communisterusse (p. 175 de l'éd. fr.). « En octobre
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