Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

224 · kouta. A la suite de la révolte qui éclata en 1954 à Kinguir, au Kazakstan, Kolyma reçut un fort contingent de prisonniers de ce camp. En même temps, la réduction des effectifs semble aller décroissant à mesure que l'on progresse vers l'Est: les Japonais relâchés de Kolyma fin 1956 estimaient que le nombre des détenus de cet énorme complexe concentrationnaire du nordest de la Sibérie restait inchangé. Un rapatrié, enfermé à Taïchet de 1953 à 1956, en rapporta l'impression que l'administration pénitentiaire s'efforçait de stabiliser la main-d'œuvre de Kolyma au moyen d'un système d' cc échange» avec les camps de Taïchet : des détenus, choisis parmi les plus forts, étaient fréquemment envoyés de Taïchet à Kolyma, tandis que bon nombre d'hommes épuisés, malades ou invalides parcouraient le même chemin en sens inverse. D'autre part, la diminution du nombre des détenus dans les camps fut accompagnée d'une augmentation de celui des prisons. Il semble qu'on ait entrepris d'en construire toute une série de nouvelles et d'agrandir certaines des anciennes. Les détenus des prisons furent astreints au travail forcé, dans des conditions plus dures même que dans les camps (cf. Izvestia, 13 septembre 1956, et Le Droit soviétique du travail correctif, pp. 187202). Une partie des bagnards furent transférés des camps dans les prisons en représailles des soulèvements et furent frappés d'une peine supplémentaire pour cc banditisme dans le camp ». Le champ d'application de la peine· de prison fut considérablement étendu par les cc Principes de la législation pénale de !'U.R.S.S. et des Républiques fédérées », promulgués le 25 décembre 1958. Cette peine dQit frapper les cc personnes ayant commis des crimes graves » et les cc récidivistes particulièrement dangereux». Le manuel du professeur Outevski voit dans cette innovation un cc renforcement de la répression pénale des crimes graves » (p. 88). Le rapporteur au Soviet suprême précisa que le but visé était une cc aggravation de la responsabilité pour les crimes contre l'Etat les plus graves et pour les crimes contre la vie ou la santé des citoyens ». Prisonniers politiques et assassins sont mis, une fois de plus, dans le même sac. Toutefois, s'il faut en croire les déclarations officielles, il n'y a plus de détenus politiques. En mai 1957 déjà, deux hauts fonctionnaires avaient affirmé au professeur Harold J. Berman, de l'Université Harvard, qu'à la suite des amnisties et des réhabilitations les prisonniers politiques ne représentaient qu'un peu moins de deux pour cent de l'ensemble des détenus, et qu'il s'agissait là de traîtres coupables de cc sévices sur des citoyens soviétiques en collaboration avec les Allemands » (journaux du 16 mai 1957). Allégations audacieuses, bientôt démenties par des témoignages signalant la présence, dans divers · complexe~ concentrationnaires, de détenus polonais; un Français, libéré au début. de 1958, fut en contact jusqu'à la fin de sa détention avec des partisans Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE venus du Caucase et d'Ukraine qui continuaient de gémir dans la prison de Vladimir pour avoir refusé de renoncer publiquement à leurs idées d'indépendance nationale (Jean-Paul Serbet : Polit-isolator, Paris 1961, p. 417). Au début de 1959, Khrouchtchev crut possible de se débarrasser des deux pour cent en question : cc Il n'y a ·plus aujourd'hui en Union soviétique de cas de poursuite pour crimes politiques », déclara-t-il au XXIe Congrès. Et plus loin : cc Comme je l'ai déjà dit, il n'y a pas actuellement dans notre pays de détenus politiques dans les prisons. » Ces propos furent tenus un mois après la promulgation de la loi sur la responsabilité pénale pour les crimes contre l'Etat qui vise, entre autres, la haute trahison, le terrorisme, le sabotage, l'agitation et la propagande antisoviétique, la participation à une organisation antisoviétique, les désordres de masse, le départ illégal pour l'étranger, et qui frappe la plupart de ces " délits politiques de peines allant de dix ans de réclusion jusqu'à la mort. Les affirmations de Khrouchtchev furent répétées au même congrès par le chef de la police secrète, A. Chélépine, qui cependant les démentit aussitôt en s'écriant : cc Nous continuerons à punir impitoyablement tous les ennemis de notre peuple. » On sait d'ailleurs que depuis très longtemps il n'existait plus en Union soviétique de détenus officiellement désignés comme politiques ; il ne s'agissait que d'ennemis du peuple, de traîtres, de saboteurs, de contre-révolutionnaires, etc. Une lumière crue fut jetée sur la question par l'aboutissement de l'affaire Pasternak. Moins de trois mois après la mort de l' écrivain, la femme qui avait prêté ses traits à l'héroïne du Docteur Jivago, Olga lvinskaïa, fut arrêtée. Les faits qui en fournirent le prétexte sont connus grâce au récit de Sergio d'Angelo, qui avait servi d'intermédiaire entre Boris Pasternak et son éditeur étranger. Exclu de l'Association des écrivains soviétiques et privé de son gagne-pain, Pasternak avait demandé le versement d'une partie de ses droits d'auteur. L'espoir d'obtenir un transfert officiel une fois évanoui, il demanda que l'argent fût envoyé clandestinement, et chargea Olga Ivinskaïa d'en prendre livraison. Les sommes par elle perçues furent intégralement transmises. Après la mort de l' écrivain, elle reçut, conformément aux volontés du défunt, une certaine somme pour elle-même. Pour justifier son arrestation et sa condamnation, plusieurs versions diffamatoires furent successivement mises en circulation : on lui imputa d'avoir persuadé Pasternak de ne pas faire passer son argent par la voie officielle ; une autre foi~, d'avoir lésé !'écrivain lui-même, ainsi que ses héritiers légitimes, par une appropriation indue de fonds ; ou encore d'avoir spéculé sur la production poétique de certains étudiants. Olga Ivinskaïa ne devait pas être jugée pour crime politique. A la suite d'un procès secret, elle fut condamnée en décembre 1960 à huit ans

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