Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

K. PAPAIOANNOU était l'éther de la vérité pure, le siège social de l'« homme total», l'empyrée où le prolétariat en soi communiquait sa sagesseà ceux-là précisément qui privaient les prolétaires réels de tout droit de vote, d'association, d'information, de grève, etc. C'est là que se trouvait le liber vivus de la science prolétarienne; c'est là qu'on pouvait lire... · ...legato con amore in un volume cio che per l'universo si squaderna. Seulement ce «Livre» n'avait que des pages blanches. Comme disait Custine, toujours à propos de la Russie : «Si vous ouvrez le livre, vous n'y trouverez rien de ce qu'il annonce ; tous les chapitres sont indiqués, mais tous sont à faire. » Ce qui n'était qu'une boutade, le dépérissement du marxisme l'a rendu réel. Dépérissement du marxisme IL N'ESTGUÈREde thèse théorique du marxisme que l'exégèse orthodoxe n'ait réduite au niveau d'un catéchisme primaire à l'usage des agitateurs. Et cela suffit déjà à expliquer le marasme de la pensée marxiste dans les domaines mêmes qui étaient traditionnellement les siens. « La théorie économique du marxisme n'a fait aucun progrès essentiel depuis 1930 », constate un économis~e marxiste aussi orthodoxe que Paul Sweezy 18 • Mats quelle pouvait être la théorie économique dans un pays où a été érigé en dogme le «secret » des affaires tant reproché aux capitalistes ? Le but systématiquement poursuivi par l'idéologie est d~ soustraire la réalité (la réalité capitaliste _aussi bien que celle de la «nouvelle terre » providentielle) à la réflexion critique des partisans. A toute époque de fermentation ou de révolution religieuse, l'homme s'efforce de présenter sous une forme aussi cohérente que possible l'ensemble de la nouvelle foi. Cette foi, il tâche de l'approfondir, de la communiquer aux autres, de la formuler d'une manière nette, précise et définitive, de la défendre aussi contre leseJ?-llemis de l'orthodoxie. A ce propos, on ne saurait trop insister sur l'importance de ce climat apologé~ tique et polémique et sur les, con~équen~~sqw en sont résultées pour la theolog1e chretienne. Que l'on songe, ~ar exempl~, à 1~ pol~mique ~tipélagienne de saint Augustm : 11lw doit d e~re passé à la postérité d'abord comm~ le .théologien du péché originel, de 1~ prédestination, ?e la grâce, etc. De cet effort incessamment repr~s par les Eglises pour définir le dogme,.pour manifeste_r et pour réaliser ~'accord de la ra1~01:e1t_de !a foi, on ne voit la momdre trace dans 1 h1sto1rerecente du marxisme. Les marxistes vivent désormais sur un capital de mots qu'ils ne pensen~ plus, et ~e sont les plus essentiels dont la valeur s est évanowe 18. P. Sweezy ; The Theory of Capitalise Development, 1949, p. 209. Biblioteca Gino Bianco 205 le plus vite : ceux qui ont trait à la société et à la révolution, à la liberté et à l'oppression, à la culture. Saint Augustin a dû compiler un catalogue de toutes les hérésies - 88 au total - où nous trouvons un grand nombre d'indications sur les idées qu'à tort ou à raison on imputait aux hérétiques. Aucun docteur officiel n'a encore pensé à fixer dans une définition le sens des innombrables formes sous lesquelles se présentent les déviations «de gauche », les déviations «de droite » ~t les déviations «centristes ». Si bien que les attitudes non conformistes stigmatisées par les termes objectivisme et subjectivisme ; extrémisme et conciliationnisme, chauvinisme et cosmopolitisme, théoricisme et practicisme, bureaucratisme et autonomisme, aristocratisme et égalitarisme, révisionnisme et dogmatisme, etc., signifient presque toujours une « surestimation » ou une «sousestimation »de «facteurs »autour desquels l' orthodoxie maintient jalousement une sorte de no man's land théorique : seuls les commandeurs des troupes de la police politique, connaissent le tus~e poids des facteurs surestimes ou sous-esttmes par leurs victimes. Et comme celles-ci ne peu~ent - ni même ne veulent - se défendre et obliger les «orthodoxes » à les « réfuter » en définissant la vraie foi, le contenu réel des déviations (s'il y en a) aussi bien que le credo restent inconnaissables et deviennent des mystères, exclusivement connus de ceux qui manient le malleus maleficarum. Après l'ère de la «psychologie sans âme », verra-t-on celle de l'idéologie sans doctrine, de l'orthodoxie sans dogme ? L'orthodoxie sans dogme L'ORIGINALITÉde l'orthodoxie marxiste par rapport à celles qui l'ont précédée, c'est qu'elle risque d'être inconcevable par~e qu'elle. est devenue informulable. Partout ou le marxisme orthodoxe s'est imposé comme norme de la pensée philosophique, sociologique, économique, politique, etc., l' orthon dogma est devenu agra: phon, non écrit : ~n ne sait plus ce q_uele vrai marxisme est, mais on apprend touJours post festum, après la condamnation irrécusable des cc déviations », ce qu'il n'est pas. De surcroît, ces condamnations sans appel ne donnent pas la moindre définition de la déviation à éviter, et comme elles sont formulées dans un langage plus ou moins apocryphe, elles ne contribuent nullement à rendre perceptible la Voie royale de la connaissance droite. Jamais, au cours de son histoire, le mouvement marxiste n'a su attirer l'adhésion passionnée d'autant de savants et d'intellectuels, jamais tant d' es~rits distingués ne furent aussi « vigilants », aussi prêts à dépister et à dénoncer la moin~ déviation, jamais donc les conditions nécessaires à I'instauratio magna du marxisme triomphan~ sur la moitié de la planète ne se sont trouvées s1

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