Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

YVES LÉVY depuis, les a suivis. Ils ont donné le ton. Mais sans doute convient-il de renoncer à des clichés forgés par les passions politiques de la fin du siècle dernier. Il est même indispensable de le faire si l'on veut pénétrer dans la pensée politique du temps. Nous avons tendance à considérer la monarchie de Juillet comme un régime de transition, soit qu'elle représente un barrage temporaire contre la souveraineté nationale, soit qu'on nous la dépeigne (cf. la note 14) comme un mélange instable de monarchie et de souveraineté nationale. Ces façons de voir sont erronées. D'abord parce que ce régime, plus qu'aucun autre en France, fut dès le premier jour considéré par ses partisans comme providentiel et définitif. Nous avons abondamment montré combien ce régime était attendu. Il n'est pas inutile d'ajouter que le parallèle avec 1688 fut aussi souvent évoqué après la révolution qu'il l'avait été avant. La France politique tout entière avait le sentiment que le mouvement même de l'histoire avait conduit au trône le duc d'Orléans. Ce n'était pas un expédient : c'était, après tant de vaines recherches, le destin politique de la France enfin réalisé. L'abbé de Pradt le constate dans le Courrier français du 11 août 1830, lorsqu'il salue le départ des « Stuart français» et s'écrie : « Nous sommes arrivés à la clôture de la révolution. » Même sentiment chez Carrel, qui écrit le 13 septembre que les « glorieuses journées de Juillet (...) ont décidé une question débattue depuis quarante ans sous toutes les formes». Et le 15 novembre 1830, Guizot exposera à la Chambre qu'à sa façon LouisPhilippe est un roi légitime, qu'il possède une légitimité historique. Il dira : On accuse notre révolution de n'être qu'une usurpation, un acte de violence, un simple fait dépourvu de droit; on lui conteste la légitimité( ...) Je n'ai aucun dessein de mettre la Restauration aux prises avec la révolution, ni de relever ce procès tant débattu; je me renfermerai dans l'intérieur de la Restauration même, dans son développement particulier, et vous verrez la révolution de Juillet en sortir nécessairement, comme une conséquence naturelle, légitime, des fautes de la Restauration, du développement de ce qu'il y avait de radicalement vicieux dans son sein (...) Notre révolution est, je le répète, le résultat naturel, attendu, du cours des choses ; elle est un de ces événements qui sont conformes aux lois de la Providence, qui sont évidemment amenés par elle ; un de ces événements qui satisfont, pour ainsi dire, l'intelligence humaine, parce qu'ils lui apparaissent comme la manifestation de la sagesse divine. (C'est ce discours qui fit dire que Guizot avait parlé de «quasi-légitimité», expression qu'il se défendit toujours d'avoir employée. Dans son esprit de constitutionnaliste et d'historien, la nécessité de l'évolution historique créait une légitimité véritable, mais la plupart de ses auditeurs ne pouvaient entendre ce mot que dans sa signification traditionnelle, dans sa liaison avec le droit divin et la loi salique. A leurs yeux, Guizot ne pouvait avoir attribué à Louis-Philippe qu'un équivalent de la légitimité, non la légitimité elleBiblioteca Gino Bianco 197 même. Le concept se situait dans deux conceptions différentes du monde et de l'action de Dieu dans le monde. Notons, d'autre part, que Guizot énonce explicitement ici que Louis-Philippe n'est pas l'héritier de la Révolution française triomphant enfin de la Restauration, mais le successeur naturel de la Restauration. Ce discours est donc, par l'affirmation de la légitimité de Louis-Philippe, essentiellement destiné à écarter toute référence à la souveraineté nationale.) Bien après la chute du régime, Duvergier de Hauranne affirmait encore avec assurance la légitimité historique et morale de la monarchie de Juillet. Il écrivait en 1864, dans l'article « Révolution de 1830 » du Dictionnaire général de la politique de Maurice Block : Il y a des révolutions qui éclatent soudainement sans qu'on les ait prévues la veille, sans qu'on les comprenne le lendemain. Il y en a d'autres, au contraire, dont personne ne peut ignorer les causes ni méconnaître le sens et dont l'histoire est, en quelque sorte, écrite d'avance. Telle est la révolution de 1830, la plus juste, la plus nécessaire, la plus sage des révolutions. C'était d'ailleurs ce qu'avaient pensé jusqu'à certains adversaires déterminés de la politique du juste-milieu, et notamment les radicaux anglais. On lit dans le Morning Herald (cité dans la Tribune du 13 juin 1832 ; l'article est écrit après l'insurrection des 5 et 6 juin, et répond visiblement à un journal tory qui avait vu dans ces troubles une conséquence de la révolution de 1830) : Nous ne sommes pas plus obligés de nier les maux de la France que d'avouer qu'ils sont la conséquence nécessaire de la révolution de 1830. Cette révolution fut aussi nécessaire, aussi légitime que la nôtre de 1688 ; plus que la nôtre elle eut le caractère d'un grand mouvement national; mais Guillaume III ne s'était pas fait un misérable système de compromis ·entre les principes de la révolution qui l'avait placé sur le trône et ceux de la dynastie déchue, dont les crimes contre la Constitution lui avaient fait perdre le même trône. Ce ne fut pas une ignoble politique comme celle du juste milieu que suivit Guillaume III. Il est curieux que ce soit la Tribune qui reproduise un tel jugement. Elle y voyait évidemment une attaque contre la politique du roi et du ministère. Mais le journaliste anglais savait aussi une chose dont la Tribune ne s'est jamais douté : c'est qu'on pouvait condamner la politique sans condamner le régime. OR c'est dans la perspective du meilleur régime enfin réalisé qu'il faut, si l'on veut les bien comprendre, placer toutes les querelles politiques et constitutionnelles qui, sous lamonarchie de Juillet, se déroulèrent dans le cadre du régime. Aussi faut-il commencer par bien comprendre 9.ue l'appel au duc d'Orléans ne fut pas un expédient, mais le couronnement de longues ,.

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