196 Georges Weill parle de la réception du duc d'Orléans à !'Hôtel de Ville, le 31 juillet. Puis il continue : Les républicains se résignaient. La Tribune commença le numéro du 31 juillet par cette déclaration : « Un petit nombre de personnes reprochent aux rédacteurs de la Tribune de se montrer RÉPUBLICAINS. Nous observons que nous avions ce caractère sous le ministère Polignac, et que nous avons bien le droit de le conserver aujourd'hui. » Mais elle ajoutait dans le même numéro : « Nous n'avons pas la prétention d'imposer la République à la France, et nous reconnaissons aux citoyens le droit de demeurer libres ou de se laisser faire encore une fois sujets. » Si ces lignes avaient été écrites après la réception du duc d'Orléans à !'Hôtel de Ville, on ·pourrait dire avec Georges Weill qu'elles témoignent de la « résignation » des républicains. Mais, publiées sous la date du 31, elles ont été écrites le 30, le jour où les insurgés découvrent qu'ils sont victorieux, et lorsque l'avenir n'a pas encore pris forme. Elles ne manifestent donc nullement de la résignation : elles sont l'aveu d'une irrémédiable faiblesse. Mieux encore : Auguste Fabre précise, dans l'ouvrage même, dans le passage même dont se sert Georges Weill, que ces lignes ont été écrites très tôt, car elles ont été composées par les typographes en même temps que les premiers articles du numéro qui allait sortir dans l'après-midi du 30. (La Tribune, comme nos journaux du soir, portait donc la date du lendemain.) Ce passage de Fabre nous apporte d'ailleurs une inf?rmation _plus précieuse encore : c'est que la Tribune, le Journal de Marrast, l'unique journal ·républicain de l'époque, n'était pas .l..ue essentiellement ni même rédigée exclusivement par des républicains. Victorin Fabre, frère aîné et directeur de conscience d'Auguste, républicain intransigeant en mémoire de qui Auguste publie en 1833 son livre sur La Révolution de J 830 ( déjà malade en 1830, Victorin est mort entre-temps) Victorin Fabre, nous dit Auguste (p. XXXVI)... ' ...blâma, comme un préliminaire qui, au lieu de disposer mes lecteurs à m'écouter, pouvait en effaroucher plusieurs, les mots LIBER TÉ, EGALITÉ, placés en tête de mon article du 29 juillet. Victorin « blâma plus encore » la déclaration mi~e en tête du numéro suivant, celle que reproduit Georges Weill (à un mot près. Il faut lire : « quelque droit»). Auguste note les raisons de son frère : Que le 29 juillet, me dit-il, tu te fusses rendu avec tes amis armés à !'Hôtel de Ville, que tu y. eusses fait adopter le gouvernement républicain, à la bonne heure (...) Mais dans le bureau d'un journal, il ne fallait pas afficher une opinion contre laquelle la majorité se prononce, une opinion intempestive, peut-être, et que nous ne partageons pas tous : ce n'était ni convenable, ni adroit, ni utile à ton parti. Tout ce que nous pouvons, c'est de demander qu'une poignée d'hommes ne se mette pas en lieu et place de la nation; d'exiger qu'on consulte le vœu national légalement émis. . , BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Cela signifie assez clairement qu'on peut risquer sa vie dans une aventure, avec l'espoir qu'un exemple héroïque entraînera la foule, mais que dans un journal il faut convaincre, et qu'on doit éviter de heurter de front et son public et l'équipe même qui rédige le journal. Même à la Tribune, en juillet 1830, l'opinion républicaine était « intempestive». C'est dire qu'elle l'était partout. Ajoutons que le passage cité par Georges Weill : « Nous n'avons pas la prétention d'imposer la République à la France», vient en conclusion d'un éditorial entièrement consacré à discuter 1eschances de Charles X et celles du duc d'Orléans. Après Georges Weill, Charléty (dans l'ouvrage cité) ne se privera pas de solliciter les textes. C'est sur le « programme de !'Hôtel de Ville » que s'exercera le collaborateur de Lavisse. Ce programme est d'une timidité révélatrice 12 et suffirait à démontrer qu'il n'y avait pas, alors, de pensée républicaine. Les historiens républicains se sont " dispensés de citer ce document sans portée. Charléty, qui le résume, le maquille délibérément 13 • Notamment, la suppression de l'hérédité de la pairie devient sous sa plume la suppression de la pairie, et il ne parle pas de la suppression du cens d'éligibilité (suppression qui même ne concernait peut-être que les -élections locales), alors qu'il s'agit là d'une clause essentielle : on peut, en effet, en déduire de façon certaine que le cens élect~ral devait subsister. Ce programme démontre ou bien que la plupart des républicains étaient fort timorés, ou bien qu'il leur parut impossible d'aller au-delà. Au fond, le point capital du programme, c'était la revendication du principe de la sou\Teraineténationale. Et l'on a vu que c'était là le seul point auquel Victorin Fabre voulait qu'on s'attachât. Cette position sera celle de Cabet en 1832 ( dans l'ouvrage cité), et il la manifestera l'année suivante en l'inscrivant - dès le prospectus du II août 1833 - en exergue du Popula~re. ~a re~onnaissance du principe de la souveratnete nationale ne cessera, sous la monarchie de Juillet, d'être réclamée par l'opposition et rejetée par le régime 14 • * )f )f QuoI QU'IL EN SOIT, Georges Weill et Charléty ayant accordé au parti républicain de I 8 30 l' existence et un programme, toute l'histoire officielle, 12. Marrast le publia dans la Tribune du 7 avril 1831 puis dans une brochure où il souligne que ce programm; n'a pas été démenti par le gouvernement. On ne voit pas comment le gouvernement aurait pu démentir un texte demeuré clandestin. 13. _S~9 récit, en général, es_tempreint de plus de passion répubhcame que de ferveur scientifique. On peut se demander c_eque la ~épubl,ique ga~nait à un récit fantaisiste : pour établir la perfid1e de 1 adversaire, on transformait des ancêtres impuissants en ancêtres bernés. 14. C~ qui n'empêche _pas .1\1-· Duverger d'enseigner à nos étudiants que « le régune fait appel officiellement à la théorie de la souveraineté populaire >> ( Droit constitutionnel et institutions _P_olitiques, Paris, P.U.F., 1955, p. 425. P. 435 dans la 5e éd1t1on).
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