Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

YVES LÉVY Et de même qu'il veut ignorer l'importance de l'orléanisme en 1830, il exagère celle des républicains. Vaulabelle, républicain lui aussi, est avant tout un historien. Il commence sous LouisPhilippe son Histoire des deux restaurations dont le dernier volume - celui qui nous intéresse - paraîtra en 1853. Né au commencement du siècle, il est un contemporain, il a gardé un souvenir précis de l'atmosphère du temps. Et il semble avoir utilisé une documentation plus abondante qu'aucun de ses successeurs. Aussi mérite-t-il d'être cité longuement. Il nous donne d'ailleurs une des sources de la légende qui a cours à présent : c'est que les orléanistes, pour détacher les hésitants de leur fidélité à Charles X, n'hésitèrent pas à agiter l'épouvantail républicain. Commentant les souvenirs de Bérard, l'un des acteurs orléanistes de la révolution de 1830, Vaulabdle écrit 9 : En présentant l'opinion républicaine comme ayant pris en quelques heures des forces assez grandes pour se trouver déjà en mesure de disputer la place au duc d'Orléans, M. Bérard se faisait le complaisant écho d'exagérations habilement calculées par les partisans de ce prince ; spéculant sur les terribles souvenirs laissés dans les esprits par la dictature conventionnelle, ils s'efforçaient de triompher des hésitations de nombre de députés ou d'hommes timides en leur disant : « Si le duc d'Orléans n'est pas proclamé immédiatement, ce soir nous serons en République. » Et, pour fortifier la menace, non-seulement ils grandissaient outre mesure la puissance de l'opposition que rencontrait, en effet, parmi les combattants les plus énergiques la substitution immédiate, sans garanties préalables, d'un Bourbon à un autre Bourbon, mais ils donnaient aux membres de cette opposition un nom que ces derniers ne prenaient pas encore. L'opinion républicaine n' existait qu'en germe, pour ainsi dire, sous la Restauration, elle se trouvait, à la vérité, au fond des principes invoqués par les nouveaux opposants ; mais elle ne devint une doctrine, elle ne forma un parti, dans le sens politique de l'expression, et n'arbora ouvertement son drapeau qu'après l'avènement du duc d'Orléans. Jusque-là le mot de République ne fut pas ouvertement prononcé; du moins, on le chercherait vainement dans une seule des protestations ou des proclamations présentées soit à la commission municipale, soit à la Chambre des Députés, ou adressées à la population. Ailleurs (p. 326), Vaulabelle note que les journaux du 30 juillet, rédigés le soir du 29, c'està-dire juste à la fin des combats... ...ne renfermaient pas un seul mot qui pût faire encore pressentir la chute de Charles X et l'avènement d'une nouvelle dynastie. Ainsi Vaulabelle énonce clairement qu'il n'y avait pas, à proprement parler, de parti républicain, que le mot de république ne fut pas prononcé, que jusqu'à la fin de la lutte on ne songea guère à proclamer la déchéance d'un roi qui disposait de l'armée et que le lendemain même la partie ne se jouait qu'entre la fidélité 9. Hiltoirs des deux restaurations, 48 éd., Paris 1857, t. VIII, pp. 335-336. Biblioteca Gino Bianco 195 au roi et le ralliement au duc d'Orléans. En vérité, l'étude attentive de la révolution de 1830 ne permet de découvrir aucun fait qui infirme ces propositions de Vaulabelle. M lis voyons II?-aintenant ce que disent les historiens postérieurs. Né à la fin de la Restauration, Hamel n'est plus guère un contemporain. Dans son Histoire de la mon(lrchie de Juillet (1889), il fait le tableau des partis en présence au moment de la révolution et, oubliant qu'il y avait des partisans de Charles X, il parle des républicains, des bonapartistes et des orléanistes. C'est une présentation bizarre, car il y avait encore moins de bonapartistes que de républicains. Du moins sait-il que le parti orléaniste était « de beaucoup le plus nombreux ». Quant aux républicains, ils avai~nt, dit-il, « incontestablement pour eux le droit éternel. Cependant, ils n'avaient pas la prétention d'imposer leurs préférences au pays·. » C'est assez dire qu'ils ne comptaient guère (en se servant, nous allons le voir, d'une formule de la Tribune), mais c'est le dire de façon quelque peu tendancieuse. Il est vrai que deux ans plus tôt, à la fin de son Histoire de la Restauration (tome II, p. 724), il n'avait même pas mentionné le parti orléaniste, et tout expliqué en disant que « MM. Jacques Laffitte, Thiers, Mignet et le chansonnier Béranger s'étaient mis dans la tête d'offrir la couronne au duc d'Orléans ». AVECles historiens suivants - Georges Weill, Charléty - nous sautons brusquement à une génération nouvelle, celle qui a été élevée dans la période héroïque de la Troisième République, au temps où les républicains combattaient pour s'emparer de la République et l'empêcher de dériver vers une nouvelle monarchie. Leur œuvre se ressent parfois étrangement des luttes qui ont entouré leur jeunesse. Avec eux le rôle des républicains de 1830 va tout à coup grandir démesurément. Georges Weill les voit « jouer sur les barricades un rôle prépondérant » 10 , et il écrit ailleurs : « Rien n'était décidé encore le soir du 29 (...) Qui l'emporterait ? La république ou la monarchie ? 11 » Or il est certain que les insurgés ont presque tous eu pour cri de guerre : « Vive la Charte », et que, le soir du 29, ils se demandent ce que fera Charles X, qui est le roi et dispose d'une armée. La bataille est gagnée sans doute, mais ce sont les historiens qui le savent : les acteurs l'ignorent encore, et leur victoire ne leur apparaît que comme une base de négociation avec un adversaire puissant. Il y a plus curieux encore. Dans son Histoire du parti républicain (p. 25), 10. Histoire du parti rapublicai,i en Fra11cc, Paris 1928, p. 27. Nous citons d'après la nouvelle édition refondue. Dans la première éditio 1, qui est de 1900, les passages cités figurent dans des termes un peu différents. 11. L' Eveil des nation 1/icés (Coll. u Peu;,,le3 et Civilis 1tions »), Paris 1930, p. 101. ,.

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