Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

192 En vérité cet historien n'a pas été éloigné de comprendre' le rôle du modèle ~storique .dans la révolution de 1830. Cepend~t, Il nf parvi~nJ pas à l'admettre, et préfère qualifier d « expedient_» le recours au duc d'Orléans. Sans doute y a-t-tl à cela deux raisons. En premier lieu, son information est insuffisante : les citations qu'il donne sont peu nombreuses, et médiocrement suggestives. Mais surtout, écrivant après coup, c~ conservate~ aperçoit la fragilité du régime de Jmllet, et _oublie que les contemporains étaient surtout sensibles à la durée du régime britannique. Jugeant le pa~allèle faux (mais c'est un jugement rétrospectif), Thureau-Dang1n en minimise l'importance historique. Et parce qu'il est convaincu que l'ab~ndon de la légitimité a ruiné en France le sentiment monarchique, il déplore cet abandon et se refuse à reconnaître que l'opinion publique avait été progressivement gagnée à cette idée comme à l'expression d'une nécessité historique. Que~qu~s années plus tard, dans s·a monumentale Histoire de la monarchie de Juillet, il ne mentionnera que très brièvement le parallèle hi~torfq~e. L:idée de faire une sorte de 1688 français, ecrira-t-tl ... ...n'était pas nouvelle., et l'on n'a pas oub~é quelle place elle avait prise., à la fin de la Restauration., dans les polémiques des opposants ; c' e~t pour. la la~cer et y préparer l'opinion., que M. Thiers avait fonde le National., de concert avec MM. Mignet et Carrel 2 • Ici, le parallèle avec les Stuarts est donn~ comme une idée récemment formulée, et à qui une campagne des fondateurs du National aurait, quelques mois avant la révolutio?,. J?rêté ~e l'éclat. Ce ne serait que sous le mrmstere Polignac .- _ledernier. de la R_es!a?rati?n-;- que la subst1tut1ondynastique aurait ete env1sageeC0?1ffie une solution. On notera que Thureau-Dangm ne parle pas de complot, comme républic~ns et socialistes ne manquèrent pas de 1~ faire ~ans les premiers temps de la monarchie de Jmllet. Et aucun des historiens postérieurs n'a pensé qu'il y ait eu complot.. Cel~ étant, il est ~ing1.1:lierqu~ ni Thureau-Dangin n1 aucun des historiens qui l'ont lu· n'ait fait réflexion que, puisque les dirigeants du National n'ont pas rencontré le duc d'Orléans avant les journées de Juillet, ni ne se sont concertés avec lui par personne interposée - le duc lui-même, d'ailleurs, se gardant jusqu'à la dernière seconde de manifester la moindre attirance pour la couronne - l'attitude d~ National sous le ministère Polignac demeure rigoureusement incompréhensible si on ne l'explique par le penchant des journalistes à exploiter avec éclat les convictions de leur public. Or c'est là évidemment le ressort de sa campagne. Dès 1814, nous l'avons montré, l'histoire des Stuarts est sous de nombreuses plumes, notamment celle, dogm~- tique, de Saint-Simon. Dès 1819, Augu~t1n Thierry - secrétaire et collaborateur de Samt2. Histoire de la monarchie de Juillet., Paris 1884., tome ~., p. 7. Cet ouvrage est toujours considéré comme le travail fondamental sur ce sujet. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Simon en 1814 - souligne que le parallèle ~es Bourbons avec les Stuarts est devenu un lieu commun. Il écrit : C'est une opinion aujourd'hui à la mode, ~ue de vanter la révolution anglaise de 1688., et de désirer des Guillaume III pour le salut et la vengeance des peuples 8 • Pendant dix ans encore, ce lieu commun fut ressassé, et lorsque se fornia ~e ?1llllstère Polignac, il apparut que les temps etaient venus: Les faits on en était sûr (et c'est cette certttude qu'e;primait le National), n',~llaien~pas _tard 7r à confirmer la nécessité de 1 evolut1on historique prévue depuis ta~t. d'années. Le. coup d'Etat fut publiquement predit dans leurs Journa~ par l~s adversaires du gouvernement. An~o1?-ct:~ep~s seize ans, le changement de dy~ast1e etait i~1nent. Les hommes avaient à peine à le vouloir : !'Histoire allait le réaliser sans eux. Voilà ce qm ressort d'une étude attentive de la Restauration. " POURTANTaucun historien ne s'en doute. Après Thureau-Dangin - dont on oubliera qu'il a relevé des allusions aux Stuarts antérieures à 1830 - presque aucun récit ne remonte au-delà de la campagne du National. Yictor du Bled, historien légitimiste, la mentionne en 1877. En 1889, Ernest Hamel, historien républicain, ne semble même pas avoir entendu parler du modèle anglais et de la r~vol~tion de 1688~ Il_ sait,, à yrai dire, qu'en 1830 Il existe un fort p~rtl orle~s~e, mais il ne se demande pas pourquoi. Dans 1 Histoire socialiste dirigée par Jaurès, Eugène Fournière ne connaît même plus l'existence du parti orléaniste, et montre Thiers et Laffitte « nouant l'intrigue qui doit placer le duc d'Orléans sur le trône». Au tome IV de !'Histoire de France contemporaine de Lavisse, Sébastien ,Charl~ty fait ~tat (p. 352) du parallèle avec la revolut1on ~gl~se. Mais il ne le fait remonter qu'à la publicat1on, en 1827, d'un livre de Carrel, ce qui do111:1eà penser qu'à ses yeux la campagne du National consista à exploiter l'idée d'un de ses rédacteurs. La substitution dynastique apparaît donc comme l'œuvre d'une petite équipe. Aussi Charléty nous montre-t-il un peu plus .loin (pp. 378 . sqq.) « l'intrigue orléaniste » triomphant des intentions républicaines des insurgés de Juillet. De même, le manuel d'histoire le plus répandu dans nos lycées depuis quarante ans expose que, « faite par les républicains, la révolution de 1830 avait été escamotée par les députés orléanistes ». Dans son Histoire des institutions politique$ de la France de 1789 à nos jours (Paris, Dalloz, 1952), M. J.-J. 'Chevallier nous montre Talleyrand à sa fenêtre regardant fuir la garde royale, et dictant sur-le-champ à son secrétaire : « Mettez en note que, le 28 juillet 1830, à 12 h 5 m, la branche aînée des Bourbons a cessé de régner sur la 3. Le Censeur européen, n° 144 du S nov. 1819, p. 3.

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