Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

K. A. WITTFOGEL Depuis la mort de Staline, Mao est devenu de plus en plus indépendant, mais ses actes récents ne font que confirmer ce que son passé laissait prévoir: il s'entend mieux à traduire une stratégie. donnée en action politique et militaire qu'à concevoir et à mettre en œuvre sa propre stratégie. Examinons son curriculum : 1921. - Mao est l'un des fondateurs du P.C. chinois, mais les dirigeants et leur conseiller du Comintem n'en font pas un membre du Comité central. De 1921 à l'été de 1923, il est secrétaire de la section du Hounan. 1923. - Il devient membre du Comité central au IIIe Congrès du Parti, lequel, se soumettant aux directives de Moscou, décide de collaborer étroitement avec le Kuomintang. Par un « coup d'Etat » à Pékin, le Guide hebdomadaire, organe du Parti, publie une série d'articles soulignant la nécessité d'un type nouveau de « front uni » appuyé sur les masses et dirigé par le Kuomintang et la bourgeoisie nationale. Mao y discute des tâches politiques des commerçants et les exhorte à prendre la direction de la révolution : « Conformément à la nécessité historique aussi bien qu'à la tendance actuelle, les commerçants devraient jouer un rôle plus important que les autres dans la révolution nationale » (les « autres », à savoir les ouvriers, les paysans et les étudiants). Visiblement, Mao était quaHfié pour travailler à l'intérieur du Kuomintang. Membre de ce parti nationaliste, comme tous les autres communistes, il y occupa plusieurs postes importants jusqu'à la rupture du « front uni » en 1927. En 1924, il devient suppléant au comité central. En 1925, il est rédacteur de l' Hebdomadaire politique, organe du Kuomintang, et chef adjoint du service de propagande. En janvier 1926, au second congrès national du Kuomintang, le rapport politique est présenté par Wang Chingwei, le rapport militaire par Tchiang Kaï-chek et le rapport de propagande par le « camarade Mao Tsé-toung ». Certains prétendent que les écrits de ces années-là, en particulier le Rapport sur une enqu2te dans le mouvementpaysan du Hounan, qui date de février 1927, recélaient en germe une stratégie « maoïste » hérétique. En fait, ils montrent que Mao appliquait très scrupuleusement la stratégie imposée par Moscou *. Cela apparaît clairement quand on rapproche le rapport sur le Hounan dans sa forme originale des articles datant du « front uni» et qui ·sont omis ou très déformés dans l'édition officielle des Œuvreschoisies publiées depuis 1951. La stratégie communiste à l'égard du paysannat des pays d'Orient avait été formulée pour la première fois r.ar Lénine en 1920. Ce n'est donc pas Mao qui 1a élaborée. Il y a plus : jusqu'à l'été de 1927, • Cf. Karl A. Wittfogel : • Mao Tsé~toung et le léninisme ,, in Contrat social, novembre 1959. Biblioteca Gino Bianco 133 conformément à la tactique de « front uni » qui prévalait alors, Mao ne revendiquait pas encore la direction communiste et ne précorusait nullement le « type de mouvement paysan le plus révolutionnaire », les deux traits principaux de la nouvelle stratégie orientale de Lénine. Dans son rapport sur le Hounan, Mao saluait la révolution politique dans les villages (le renversement des anciennes autorités rurales) ; mais il ne poussait pas à la révolution agraire, c'est-à-dire à la confiscation et à la redistribution des terres. En réalité, c'est pour avoir négligé la révolution agraire et n'avoir travaillé qu'à l'organisation d'un noyau d'Armée rouge pendant les « soulèvements de la récolte d'automne» (août-septembre 1927) que Mao fut écarté du Comité central du P.C. chinois le 14 novembre 1927. Le caractère unilatéralement militaire de ses vues est la clé de son ascension pendant la période des soviets en Chine centrale qui devait suivre. Les idées qu'il exprimait alors, et qu'il jeta sur le papier quelques années plus tard, insistaient sur le rôle essentiel de l'action militaire dans la révolution agraire. Les formules : « La guerre est l'expression la plus haute de la lutte » et : « Le pouvoir politique sort du canon d'un fusil » sont caractéristiques de la pensée de Mao, théoricien de la guérilla communiste. Certes, de telles déclarations auraient aussi bien pu être faites par Hitler. Mais à la différence du Führer, qui plaçait l'intuition plus haut que l'évaluation rationnelle, Mao soutenait que la guerre de partisans, comme toute autre espèce de conflit, doit être menée de manière méthodique et rationnelle et qu'il faut tenir pleinement compte de la pensée militaire classique. Naturellement l'Armée rouge doit posséder une organisation politique à toute épreuve, avec des communistes à sa tête. Officiers et soldats doivent être si bien endoctrinés qu'ils continuent de marcher, pour mal nourris et si mal équipés qu'ils soient. En tout temps, leur attitude politique doit leur rallier les sympathies des masses paysannes. · Cette méthode de guerre politique ne s'applique pas aux armées d'un régime communiste solidement établi, surtout après la collectivisation de l'agriculture et l'instauration des communes; c'était un facteur essentiel au moment où les guérillas chinoises étaient les porte-drapeau de la révolution agraire. Mao, depuis 1931 président de la République soviétique en Chine centrale, soutenait qu'il fallait gagner les paysans pauvres par des avantages matériels substantiels. Il préconisait la saisie systématique et la distribution des biens des famiUesriches : porcs et poulets devaient être consommés, les biens meubles et les terres immédiatement répartis~ A partir de 1926 et contrairement à la position marxiste originelle, Mao insista sur le rôle que la lie de la société, la « racaille » bien dirigée, pouvait jouer dans la révolution paysanne, et c'est de gaieté de cœur que le P.C. chinois et le

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