QUELQl.!ES LIVRES eux-mêmes le guet sur les remparts de la ville, mais p. 71 on apprend que ces sergents du guet étaient des « agents inférieurs » appointés. La description du xvie siècde, floue et insuffisante, n'est pas meilleure. La documentation de Mlle Pemoud est hasardeuse. Prenons le cas d'Ango. « Il recrute pour sa flotte, dit l'auteur, les meilleurs pilotes du temps, parmi lesquels Verrazzano lm-même. » La Roncière· l'a pensé., mais Henri Cahingt (La Flotte de Jehan Ango., Dieppe 1952, p. 23) a montré que c'est là une conjecture des plus fragiles. « Il envoie (...) jusqu'au Pacifique ses navires qui opèrent en escadres ». Non. Deux navires d'Ango sont arrivés une fois sur la côte de Sumatra : ils n'ont donc pas dépassé l'océan Indien. « Il possède un comptoir permanent à San Francisco, un autre à Bahia. » Cela est du dernier bouffon. Qui jamais a ouï parler de San Francisco avant le XVIIIe siècle ? L'auteur confond sans doute avec un fleuve de ce nom qui est au Brésil, et où il n'est pas établi qu'aucun navire d'Ango soit jamais allé. Il est en tout cas exclu qu'il ait eu - là ou à Bahia - un comptoir permanent : le Portugal défendait rudement son monopole commercial. Il ne s'agit pas là d'erreurs : il s'agit d'une ignorance fondamentale concernant la géographie et le commerce du temps. C'est là le défaut des compilateurs : ils vicient ce qu'ils transcrivent. En veut-on d'autres exemples ? Lorsque l'auteur se réfère à Fernand Braudel au sujet du pouvoir d'achat des ouvriers (p. 404), il est aisé de contrôler qu'il ne s'agit pas d'une .enquête menée « en Espagne notamment »., mais exclusivement en Espagne, et que l'auteur cité n'en étend les conclusions qu'aux régions pauvres qui entourent la Méditerranée. Lorsque notre auteur cite (p. 403) la satire Ménippée., c'est avec une -parfaite absence d'à-propos : l'archevêque de Lyon (qui est le discoureur non nommé) n'attaqµe nullement lés travailleurs (par opposition aux bourgeois), comme le croit l'auteur, mais la roture (par opposition à la noblesse). Mais tout cela n'importe guère. Le xv1e siècle., pour notre historienne., n'est qu'une matière à travail alimentaire. Seuls l'intéressent ses chers temps féodaux qui vont du xe au x1ve siècle, ou du xe au x111e., ou peut-être seulement du X8 au xue siècle. Mais le xue siècle lui-même n'est-il pas menacé ? Nous terminerons sur le vaillant combat livré par Mlle Pernoud pour la défense du xu0 siècle, temps d'harmonie, temps de fraternité. · Dans un beau passage, Chrétien de Troyes., le célèbre romancier de ce temps-là., peint des ouvrières du textile, maigres et vêtues de haillons crasseux. Elles sont trois cents dans un atelier., qui se plaignent longuement d'être exploitées par leur patron. Tandis que celui-ci s'enrichit, le salaire qu'il leur donne pour un travail poursuivi jusqu'à la nuit close ne leur permet ni de ac vêtir décemment, ni de manger à leur faim. Biblioteca Gino Bianco 183 Voilà qui conduit à penser que les rapports du capital et du travail étaient déjà ce qu'ils restèrent jusqu'à une époque récente. L'auteur conclut à l'inverse que Chrétien de Troyes a tout imaginé : comme si un romancier avait pu imaginer., exprimée en termes spécifiques, une revendication ouvrière dont il n'aurait pas connu d'exemple. Mlle Pernoud soutient d'ailleurs que le romancier s'est trompé dans le calcul des salaires, alors que c'est elle qui fait une confusion, prenant un salaire aux pièces pour un salaire à la journée. Elle ajoute qu'un atelier de trois cents ouvrières est inconcevable en ce temps-là, et qu'on ne tissait pas encore la soie en France. Cela peut être. Il faut donc créditer l'imagination de Chrétien de Troyes d'une exagération en quantité et en qualité. Mais nihil ex nihilo: la plainte ouvrière qu'il nous transmet ne peut être une création de l'art. Mlle Pernoud en déduira-t-elle que nous voulons retirer le xne siècle aux « temps féodaux » ? Disons simplement - nous en sommes fâché pour elle - qu'aux yeux de l'historien, il n'y a pas d'âge d'or. YVES LÉVY. Candeur et intoxication JACQUES GERMAIN : Le Capùalisme en question. Préface de Jules Moch. Paris 1960, Robert Laffont éd., 250 pp. SuR LA FOI du titre de la collection dirigée par M. Jules Moch, « Problèmes sociaux de l'âge atomique », nous pensions trouver dans ce livre quelques idées sur la manière dont les structures économiques pourraient, dans un proche avenir, être modifiées par les applications de l'énergie atomique à l'industrie. Il n'en est rien. M. Jacques Germain se contente de décrire les formes d'économie capitaliste, devenues classiques depuis près d'un demisiècle, et leur interpénétration avec_l'Etat moderne qui s'est grandem~nt accentuée dans les trois dernières décennies. Et de dénoncer le gaspillage, le double emploi et les investissements improductifs dont est coupable la « libre entreprise » ; il n'y aurait de remède que dans une planification plus autoritaire où les administrations d'Etat imposeraient leurs directives aux entreprises privées. Personne ne conteste les gaspillages propres à l'économie de marché; mais outre que le problème capitaliste est ainsi rétréci, rien ne prouve qu'une planification supérieure, avec ce qu'elle implique de bureaucratie., de dissimulation chez les exécutants et de faux calculs chez les-=dirigeants, ne crée pas de nouveaux gaspillages, sans parler d'inconvénients beaucoup plus graves
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