182 du règne de Louis XV (p. 61) ; Savary écrivait un demi-siècle après Colbert (p. 126) ; et William Petty en 1699 (il était mort depuis douze ans); « André Le Nam, mort en 1648 », peignait sous la Fronde (p. 134): deux frères Le Nain sont morts en 1648, ils s'appelaient Louis et Antoine., et la Fronde a commencé six .mois après leur mort. P. 135, l'auteur décide d'arrêter ses réflexions sur l'histoire du capitalisme à 1789, mais p. 170 il voit entrer dans le xixe siècle une France de 30 mi1lions de paysans ; on lit p. 147 que les Ventes et la Charbonnerie ont préparé la Révolution française. Tout est à l'avenant : ce n'est pas un essai historique, c'est une œuvre d'imagination. M. Colmet Daâge est un amateur, qui n'a pas pris garde à l'avertissement de La Bruyère : « C'est un métier que de faire un livre comme de faire une pendule.» Ce métier., en revanche., Mlle Pemoud le connaît bien. Elle est une des responsables de nos archives nationales et l'auteur d'une douzaine d'ouvrages sur le Moyen Age. On s'attend donc que son livre sera tout différent du précédent. Et le ton., en effet.,est très éloigné de celui du plaidoyer désordonné et passionné dont nous venons de parler. Mlle Pemoud sait rédiger un travail de vulgarisation ·et mettre son érudition au service d'un vaste public. Malheureusement l'ordonnance de son livre est superficielle et son érudition n'est pas sans défaut. A l'examen, il apparaît que ce premier tome d'une histoire de la bourgeoisie en France n'est que la compilation de quelques ouvrages de spécialistes, compilation disposée en chapitres selon un ordre plus ou moins chronologique. Mais comme le sujet même que traite Mlle Pemoud n'a encore été traité par personne, il manque à son ouvrage quelque chose que la compilation ne peut donner : les idées directrices qui naissent d'une étude personnelle du sujet., d'une réflexion personnelle sur des renseignements patiemment recueillis et analysés. De sorte que nous nous trouvons devant un fatras où les données intéressantes deviennent suspectes à force d'en côtoyer d'inacceptables. A défaut d'idées directrices, nous trouverons des préjugés, ou plutôt un préjugé. A plusieurs reprises, Mlle Pernoud s'attache à distinguer deux périodes dans le Moyen Age. Elle nomme la première << temps féodaux »., la seconde étant seule à proprement parler un « moyen âge »., un âge intermédiaire entre les temps féodaux et les temps modernes. Les temps féodaux sont carac- . térisés par la générosité, la foi.,l'harmonie sociale. C'est l'âge d'or. Hélas ! l'intervention du bourgeois va ruiner ce monde admirable, pour lui substituer peu à peu ·cet âge de fer où nous vivons. Telle est la thèse que l'on discerne de loin en ·loin., comme une bulle qui viendrait crever le tissu de la compilation et manifester Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL fugitivement les obsessions profondes de l'auteur. Cette thèse se révèle essentiellement par des contradictions., des incohérences et des erreurs. L'auteur est d'abord conduit à ne pas définir cette bourgeoisie coupable. Cela ne laisse pas de surprendre, car il existe au moyen âge un droit de bourgeoisie., et il aurait fallu préciser que cette bourgeoisie légale n'est pas en cause. Un valet., un portefaix pouvaient être des bourgeois. Or Mlle Pemoud entend le mot dans un sens moderne. Dans un sens vague d'ailleurs, et bien incertain, puisqu'elle écrira (p. 77) que les. bourgeois « vendent le produit de leur travail », puis (p. 96) que le bourgeois cc choisit de vivre de l'échange sans rien produire par lui-même». On peut admettre que la première formule vient ~ de la compilation et que la seconde est une bulle trahissant la lave psychanalysable. On notera d'autre part que la distinction entre « les temps féodaux » et « le moyen âge » est à ce point arbitraire que l'auteur ne parvient pas à la fixer. Plusieurs fois il laisse entendre que les temps féodaux s'étendent du xe au x111esiècle (par ex. p. 91). Mais ailleurs (p. 348) nous lisons que les règnes de Charles VII et Louis XI « marquent réellement la fin des temps féodaux ». Faut-il donc considérer le x1ve siècle comme un moyen âge entre les temps féodaux... et le moyen âge? Parmi les erreurs caractéristiques.,notons (p. 140) cette distinction bourgeoise des gras et des maigres dont la rue des Gras., à Clermont., serait un souvenir. La distinction a sans doute existé (en Italie en tout cas). Mais l'unique exemple allégué est absurde : cette rue montante est une « rue des Degrés» (gras., du latin gradus, gardera ce sens jusqu'au xv1e siècle). P. 137, le thème iconographique de la pesée des âmes est donné pour un témoignage de l'esprit juridique se substituant au XIIIe siècle à l'esprit mystique de l'époque romane. (Notons en passant cette troisième version de la distinction des temps féodaux ·et du moyen ·âge: ceux-là s'arrêtent au XIIe siècle et celui-ci commence au x111e.)Mais le thème est bien visible au tympan d'Autun, qui est du x11esiècle., et Mâle (Art religieux au x11e siècle, 1922, p. 413) indique l'origine égyptienne de cette représentation et son extension dès l'époque romane. Ailleurs (p. 190), l'auteur voit un signe de dissociation sociale dans le jubé qui~ après le XIIIe siècle., sépare le clergé des fidèles. Mais la séparation est très ancienne sous la forme de la transenne., et le jubé a\'paraît dès le xue siècle ( cf. Lasteyrie : Architecture gothique, II., 484-86). P. 95, Mlle Pemoud conclut un chapitre sur une citation de Pirenne où il est souligné que les femmes., au moyen âge., ne travaillaient pas. Mais dans le même chapitre elle a longuement parlé des carderesses, peigneresses, fileresses, elle a précisé que « beaucoup de fçmmes travaillent au moyen âge, et dans les métiers les plus variés » (pp. 81 et 82). P. 6o, il · est dit qu'à Provins les bourgeois prenaient
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