176 fait par hasard, grâce à un article de lui. Par la suite, en lisant son ouvrage : Philosophie ais Den.ken der Welt, j'ai pu noter dans ma préface à la Mécanique la concordance de nos conceptions sur le principe économique dans le processus cognitif. La science dérive évidemment de la tendance économique générale de la vie, ce qui, bien sûr, n'exclut pas que, pour certaines professions, elle se présente comme un problème particulier, comme un but en soi, par exemple, pour le savetier, son métier. Par là je réponds, me semble-t-il, à vos questions, savoir : suis-je distant de l'analyse socioéconomique et au courant de la doctrine de Marx et d'Engels ? Effectivement je n'ai pas étudié ce champ de connaissances et ce que j'ai pu en dire n'a été que le résultat de simples observations que j'ai faites sur moi-même et sur les gens de mon entourage. Le fait que certains représentants de la doctrine socialiste m'accusent de solipsisme, d'idéalisme, de nier le monde extérieur, etc., me surprend d'autant moins que c'est aussi ce qu'ont tendance à m'imputer les spécialistes en philosophie. Et, de temps en temps, je reçois des lettres qui m'obligent à me défendre contre de semblables imputations. Il est éminemment étrange que dans mes ouvrages, en dépit des avertissements les plus clairs, on ait tendance à recher- . cher quelque savante baliverne aujourd'hui abandonnée plutôt que de s'attacher à de simples déductions qui ne suscitent aucun malentendu. Ayant ainsi répondu à votre lettre, je tiens à vous dire comment je suis arrivé à mes conceptions, bien que je l'aie déjà exposé dans l'avantpropos que j'ai écrit pour mes travaux scientifiques, notamment dans l'avant-propos de l'édition russe d' Analyse der Empfindungen et dans un article inséré dans l'annuaire de psychologie de Binet. J'ai été élevé à la campagne où, tout en m'occupant de menuiserie et de travaux agricoles, je me consacrais aux sciences enseignées dans les lycées, sous la direction de mon père, brave philologue et historien, qui n'avait pas de grandes connaissances en matière de sciences naturelles, mais qui aimait profondément la nature. J'ai fait les trois dernières années du lycée, de la sixième à la huitième classe ; alors que j'étais en vacances, je découvris dans la bibliothèque de mon père les Prolégomènes de Kant qui firent sur moi une forte impression. Les· idées de Kant m'obsédaient. La « chose en soi » en imposait tellement à ma naïveté que je ne pus· retrouver le calme tant que je n'eus pas appris qu'il ne s'agissait là que ·d'une hypothèse gratuite. Mais mes études de physique à l'université (atomes et molécules) firent· que ce fainôme parut de .nouveau hanter mon esprit. Biblioteca Gino Bianco D:SBATS 1JT RECHERCHES.· A la fin de mes études universitaires, je me spécialisai dans la physique, mais, chance ou malchance *, je n'eus pas la possibilité de procéder sérieusement à des ext'ériences personnell~ d:e physique. Je me tourruu. ~ors v~rs !es.expe-: r1ences sur les organes sensitifs et J arnvai ainsi aux analyses de la physiologie d~s sentiments qui m'attachèrent à la théorie de la connaissance. Grâce à mon expérience pédagogique et à une prochure que j'avais écrite sur la physique, je parvins à élucider le principe économique dans. le processus cognitif. Mes cours sur la psychophysique de Fechner, pendant lesquels je fus amené à considérer les atomes comme des âmes (comme Avenarius en 1876), provoquèrent en " moi un si violent conflit entre la conception naïve du monde, d'une part, les conceptions méta- · physiques de Kant, de Herbart et la physique de l'atome, d'autre part, que je tournai bientôt le dos à la métaphysique sous toutes ses formes pour revenir à la naïve conception naturelle du monde. L'expérience acquise au cours de ces ébranlements me préserva, d'une part, d'un retour à la métaphysique et, d'autre part, me dota de dispositions critiques à l'égard des expériences ordinaires et psycho-physiologiques. L'analyse psycho-physiologique des sensations m'apprit à les décomposer en ultimes sensations élémentaires jusque-là non décomposables et me fit apercevoir l'erreur qui réside dans la ·perception de la vision sensorielle opposée à la réalité, laquelle se présente sous un jour différent. La substance de la conception qui s'en dégage se résume en ceci : L'expérience nous fait découvrir non seulement le milieu qui nous environne, mais aussi notre corps, nous-mêmes. Les éléments qui constituent ce milieu dépendent les uns des autres, mais aussi de notre corps. Si nous décomposons le tout en ses éléments ultimes, ces éléments seront physiques si nous les considérons hors ·de leur dépendance de notre corps ; mais dans la mesure où nous les considérons en connexion avec lui, et dans cette mesure-là seulemen.t, ils constituent des sensations. Beaucoup de mes critiques comprennent les « éléments » dans ce dernier sens seulement, c'est-à-dire comme des sensations, et du fait que celles-ci - et ils pensent avant tout aux sensations des autres - leur sont inaccessibles et ne leur sont pas données directement, jls sont prêts, se basant là-dessus, à me considerer comme un rêveur idéaliste (für ei.nen idealistischen Phantaske). Ils perdent de vue ~que dans ces éléments et leur dépendance réciproque réside précisément le « monde extérieur » (Aussen.welt) commun à tous les individus. En plus de ce que nous apprennent les percep- . tions sensorielles et leur interdépendance nous ne pouvons rien savoir d'autre du monde et, à * Mach était en partie paralysé. (Note de N. Valentinov.)
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