Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

N. VALENTINOV ET B. MACH Ce qui précède suffit. J'ajouterai que vous aussi bien que Marx adoptez dans une égale mesure les principes de la théorie de Darwin comme point de départ et que vous considérez la cognition comme un phénomène biologique, l'évolution psychique étant une manifestation de l'adaptation. Or Marx, abordant l'étude de l'histoire en partant de ces prémisses biologiques, s'est efforcé de leur donner une forme concrète et de les éclairer en faisant appel aux lois de la sociologie et de la vie sociale. Etudiant la sociité comme une forme déterminée de la vie, il découvrit que le caractère de telle ou telle société, ses rapports internes et, d'une façon générale, son degré d'évolution sont conditionnés par le parti qu'elle tire de la nature, ceci même étant conditionné à son tour par tels ou tels avantages découlant du milieu géographique et des moyens de production dont dispose la société. Les rapports des individus dans la production évoluent en fonction de ces moyens ; de l'évolution de ces rapports dépend celle du système « idéologique », ce dernier étant en étroite connexion avec ces rapports de production, fondement sur lequel son développement s'accomplit; le système idéologique est donc la somme des formes supérieures de la connaissance que sont le droit, la morale, l'art, la science, la philosophie, la religion. Ainsi Marx est parvenu à représenter la vie de la société en utilisant la méthode des sciences naturelles et, prenant pour base les rapports directs créés par la société avec la nature, il a réussi à montrer comment se forme le milieu social « artificiel » et ce qui conditionne les diff~rents processus qui s'y déroulent. Je n'ai pas trouvé dans vos travaux d'allusion à la doctrine de Marx et d'Engels. Il est très possible qu'elle vous soit encore inconnue. Il n'y aurait là rien d'étonnant, si l'on tient compte que le domaine de votre spécialité est très éloigné de celui de la sociologie et de l'économie politique où Marx et Engels ont principalement travaillé. La concordance que nous avons signalée entre les conceptions de Marx et les vôtres n'en est que plus remarquable et intéressante. Cela montre qu'il n'y a, effectivement, qu'un mouvement général de la pensée scientifique vers des principes bien définis. Constatant ce mouvement général, nous, empiriocriticistes russes, disons avec joie : les principes de la philosophie réaliste de Mach concordent avec les points fondamentaux de la conception sociologique de Marx. Le fait qu'ils se complètent les uns les autres apporte ~e contribution très importante à la formation d'une compréhension harmonieuse et bien équilibrée de la vie et de l'univers. Vos adversaires en Russie prétendent tout autre chose. Ils s'efforcent de démontrer que les conceptions de Mach et d'Avenarius ne sont qu'un idéalismesubjectif inconséquent et qu'elles mènent inévitablement, affirment-ils, à l'impasse du solipsisme, Selon eux, vous niez l'existence çl'un Biblioteca Gino Bianco 175 monde de choses indépendantes de nous ; ce qui les effraie surtout c'est l'idée que « les choses ne sont que les symboles de nos sensations ». C'est du solipsisme, disent-ils, et après de telles assertions sans fondement ils tirent déjà d'un cœur léger la conclusion que vos idées ne peuvent s'accorder avec la conception réaliste scientifique de Marx. Dans la mesure de leurs possibilités, vos adeptes russes se sont employés à réfuter ces affirmations mensongères. Cher monsieur Mach, la parole est à vous. Je suppose que vous ne laisserez pas mes questions sans réponse et que, fût-ce par quelques brèves explications, vous y apporterez de la clarté. N. VALENTINOV. Réponse d'Ernst Mach (Déct:mbre1907) Les rapprochements que vous faites entre Dietzgen et moi dans le premier et le deuxième points de votre lettre me semblent justes. Je suis presque d'accord également sur le tro!sième point, mais je crois bon de dégager la notion de causalité de son rapport avec l'espace et le temps; je propose donc au lieu de cela de ne parler que de la dépendance réciproque des éléments. De cette façon, le quatrième point sera lui aussi épuisé en ce qui me concerne. Je me suis de bonne heure détaché de toute conception métaphysique ; cela est dit en toute clarté dans mon exposé de 1871. Quant à Dietzgen, c'est -grâce au Dr F. Adler que j'ai fait sa connaissance il n'y a guère plus de deux ans. ~ Les noms de Marx et d'Engels ne m'étaient certes pas inconnus, mais je ne croyais trouver chez eux que des données sociologiques, et ce domaine est resté complètement étranger à mes études. Néanmoins, j'ai toujours suivi avec sympathie et de to~t cœur le mouyement soc~aldémocrate ( desungeachtet f olgte ich der sozialdemokratichen Entwickelung stets mit Sympathie und mit dem Herzen). Il allait de soi que la juste théorie de la connaissance, qui, à mon sens, avait une importance particulière, ne devait pas s'opposer aux principes de la sociologie. Pour cette raison, j'ài considéré, dans les conférences que j'ai faites en 1866 et 1868, la nature économique de la science comme un cas spécial· de l'économie générale et l'évolution de la pensée scientifique comme un autre cas spécial de l'évolution générale de la biologie. Mais que dans l'évolution biologique la conscience apparaisse relativement plus tard, personne aujourd'hui ne le conteste. J'ai fait connaissance avec Avenarius peu avant l'édition de ma Mécanique (1888) 1 et cela tout à 1. Di, Mschanilc in ihr,r Bntwiclulun,.

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