Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

174 à soumettre les forces de la nature, évoluent avec les conditions historiques. Il suffit de rappeler les changements qu'ont subis ces rapports de production depuis la société communiste primitive jusqu'à nos jours où dominent les rapports capitalistes, la vapeur et l'électricité en même temps qu'une technique supérieurement développée. La somme des rapports de production constitue, pour parler au figuré, le fondement économique de la société sur lequel s'édifie tel ou tel système de conceptions juridiques, scientifiques, religieuses,morales ou philosophiques. Les conceptions philosophiques ou idéologiques n'engendrent ni ne créent l'être, comme l'affirment les métaphysiciens idéalistes, mais par contre les conceptions idéologiques, la science et les idées se rapportant à la société sont le produit de la pensée adaptée à l'expérience de la vie, expérience qui, avant tout, a po~ir fondement la soumission des forces de la nature, le processus social de la vie économique. Selon Marx, du point de vue de la génétique ce ne sont pas telles ou telles conceptions idéologiques de la société qui constituent les formes primitives de celle-ci, mais des formes déterminées du processus socio-économique. Suivant l'évolution des formes de ce processus évoluent également les systèmes idéologiques en tant que résultat des i<;léesadaptées aux conditions changeantes qui forment l'environnement de l'homme social. Les conceptions développées par Avenarius dans sa Kritik der rdnen Erfahrung [Critique de l'expérience pure] concordent parfaitement avec cette théorie. En réalité : Marx constate la division de la société en classes, en catégories, selon la différenciation qui s'opère dans les rapports économiques entre les individus dans le processus de la production. Ces rapports font apparaître des conceptions, des idées, des croyances, des convictions différentes dans les formes cognitives au moyen desquelles les individus organisent la substance élémentaire de leur expérience quotidienne. Mais le marxisme, tout en définissant ces rapports de dépendance, ne s'applique à l'objet que dans les limites où la question se pose sur le plan général de la sociologie. Chez Avenarius, qui part de principes identiques à ceux de Marx, nous voyons au contraire l'intérêt se porter sur l'aspect «interne» psychophysiologique du processus mentionné. Sa théorie sur Vitaldifferenzen et sur Vitalrei,hen nous montre comment à partir des centres inférieurs du système cérébro-spinal et sur leur propre terrain se développent les centres supérieurs auxquels se rattachent les éléments de la vie consciente. Avenarius décrit la façon dont se forment sur le plan biomécanique les formes supérieures de la vie consciente et, dans sa Kritik der rdnen Erfahrung, il complète l'exposé de ce processus par un chapitre très intéressant· intitulé Die S ys ... teme C hoherer Ordnung. · Biblioteca Gino Biance- - DÉBATS ET RECHERCHES Déjà a priori on pourrait conclure, en se fondant sur la concordance de vos points de vue. avec ceux d'Avenarius, que vous aussi n'êtes· pas très éloigné des conceptions de Marx et d'Engels. Et en effet, la lecture de vos ouvrages confirme cette similitude. Comme eux, vous considérez la connaissance comme un phéno:- mène biologique dont on peut observer les germes et les racines, comme vous l'avez écrit ( dans la préface à la première é_ditionrusse de vos études sur la théorie de la connaissance), jusque dans les besoins matériels et les instmcts les plus élémentaires des individus et même des animaux. Dans Erkenntnis und Irrtum vous mettez l'art et la science en étroite connexion avec le .développement de l'économie publique. Ces mêmes idées nous les trouvons également dans Prinzipien der Wârmelehre et dans Populârwissenschaftliche Vorlesungen. Là il est partout bien souligné · que ce sont les besoins de la vie pratique, la technique, qui engendrent la science ; partout une connexion est établie entre la connaissance et l'être social, ainsi que l'influence de celui-ci sur la tendance de celle-là. Vous voyez dans les représentations et les idées de l'individu non des phénomènes produits par le besoin de connaître, comme des buts en soi, mais des phénomènes créés par le besoin qu'a l'individu de s'adapter aux conditions de la vie. L'homme acquiert les premières lumières sur la nature dans une demi-conscience, sans le vouloir ; d'instinct il réfléchit les faits dans les idées et, ditesvous, il se laisse guider avant tout par son intérêt matériel. La science, selon vous, se développe beaucoup plus tard ; dans la société seulement et, notamment, quand les métiers sont en plein essor. C'est donc avancer que le développement de la connaissance dépend de formes socio-économiques déterminées. C'est là, on le sait, une des idées fondamentales de la philosophie sociale de Marx. Revenant sur ce point, vous soulignez de nouveau dans Wârmelehre que la science ne se tient pas à l'écart de la vie quotidienne et qu'elle se pare des conceptions de celle-ci. Avec plus de force encore vous indiquez, en expliquant l'évolution du langage, que les formes idéologiques de la vie dépendent des formes socio-économiques. «L'évolution du langage, écrivez-vous, est en corrélation avec l'activité économique de la société : à mesure que des progrès sont enregistrés sur le plan économique, cette évolution s'accentu'.e.» · Enfin, vous regardez la cognition comme un processus social, comme une coopération entre les individus pour soumettre la nature. Il en ressort que les résultats de ce processus dépendent directement de l'évolution de la société : seule cette dernière a permis la formation d'une « économie scientifique » en tant qu' expérience de la collectivité. Il ne serait pas difficile de continuer le parallèle entre vos conceptions et celles de Marx. .,

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