Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

P. LANDY de haine populaire, en Pologne, saturée de désespoir. C'est ainsi que les crimes économiques ne sont que· le reflet d'une crise ·morale aiguë qui . atteint l'intelligentsia aussi bien que la jeunesse et se manifeste jusque_dans l'élite politique.· Le régime tchécoslovaque, qui a réussi à préserver intacte la fiction du dogme sacro-saint, n'a jamais perdu la haute main sur la vie intellectuelle et a canalisé le mécontentement populaire grâce à des concessions économiques. Une ligne essentiellement conservatrice lui a permis jusqu'à présent d'atteindre un degré surprenant - poµr l'Europe orientale - de stabilité intérieure. Une série de facteurs y a bien entendu contribué : industrialisation qui datait d'avant-guerre, niveau· de vie relativement élevé, absence d'un mécontentement national explosif et passage sans douleur de l'ère de Gottwald au règne d'Anton Novotny. Pour toutes ces raisons, le P. C. tchécoslovaque a pu insuffler à la bureaucratie. un «sens de sa mission» avec plus de succès qu'aucun autre parti d'Europe orientale. En Bulgarie LES RÉCENTSÉVÉNEMENTdSe Bulgarie, par exemple, apportent la preuve qu'une conjonction moins heureuse de facteurs de stabilisation peut engendrer des crises soudaines dans les secteursclés et encourager la corruption parmi la bureaucratie inférieure et moyenne, sans pour cela constituer une menace imminente pour l'Etat. Ici, même pendant la période critique de 1956-57, l'édifice politique et idéologique_de la dictature totale était demeuré intact : le Parti et l'appareil de l'Etat avaient résisté à l'infection du révisionnisme, la fermentation intellectuelle et le mécontentement populaire avaient été -généralement étouffés. Néanmoins la stabilisation en Bulgarie a toujours été beaucoup plus limitée qu'en Tchécoslovaquie car, en dépit de quelques concessions économiques, le développement des forces productives ne s'est pas accompagné d'une élévation correspondante du niveau de vie, lequel reste notoirement bas. Mais tournons-nous vers des événements plus récents dans ce « paisible » satellite. Depuis le ·début de 1959, l'efficacité, -la discipline et le moral de la bureaucratie de l'Etat et du Parti ont' dangereusement faibli. Le plus drôle, c'est que ce processus fut mis en branle par le Parti lui-même qui surestima les possibilités · réelles et proclama il y a deux ans un « grand bond en avant» 6 • Des objectifs fantastiques furent fixés, puis en partie modifiés. Sans préparation suffisante, on procéda à une réorganisation et .~e décentralisation radicales de l'Etat et de l'adm1rustration économique. La collectivisation agricole 6. Pour un rapport détaillé sur la Bulgarie, cf. Boris A. Christoff : • The Bulgarian Leap Forward », in Problems of Communism, Wasbingt~n, sept.-oct. 1959. Biblioteca Gino Bianco 169 une fois achevée, on ordonna une fusion radicale des fermes collectives, puis on fit machine arrière en scindant les fermes trop grandes. Les terrains privés des membres des fermes collectives furent confisqués, mais comme la disette commençait à prendre des proportions désastreuses, les dirigeants du Parti condamnèrent l' « attitude incorrecte» des responsables et proclamèrent une fois de plus le caractère sacré des lopins privés. Ces fluctuations de la politique fondamentale ·firent que 1~ conscience de groupe, la cohésion et la sûreté des échelons inférieurs et intermédiaires du pouvoir se trouvèrent minés et la transmission des· ordres d'en haut retardée. Tout d'abord, le Parti fit un gros effort pour supprimer les sources de mécontentement en accentuant sa surveillance et en éliminant les «sceptiques» des rangs supérieurs de la hiérarchie. Ensuite, une aide massive de !'U.R.S.S. sauva le pays de l'effondrement économique. · De telles périodes d'instabilité, causées par des revirements déroutants de la politique fondamentale, peuvent certes apparaître dans tout système totalitaire. L'exemple de la Bulgarie démontre cependant qu'elles n'impliquent pas nécessairement une opposition systématique aux dirigeants, sans même parler d'une menace , directe pour les fondements du régime. A moins de bouleversements imprévus dans le bloc soviétique, c'est l'exemple bulgarè plutôt que l'exemple hongrois ou polonais qui prévaudra en matière de corruption institutionnelle dans les «démocraties populaires ». Contre-mesures JUSQU'A QUEL POINT les régimes d'Europe orientale ont-ils pu enrayer la propagation des crimes économiques par des mesures administratives ? L'acharnement mis à traquer les coupables, avec usage de la terreur, s'est révélé jusqu'ici singulièrement inopérant. Une large gamme de mesures coercitives, dont un grand nombre de peines de ·mort, de prison à long terme et de déportation, _et la création de camps de redressement par le travail n'ont pas réussi à révolutionner la nature humaine; ces mesures n'ont fait que retarder les tentatives timides d'aborder franchement le vrai pro~lème 7 • 7. De~ p~ines de mort pour « crimes économiques particulièrement graves ,, furent appliquées pour la première fois en Bulgarie en 1954, en Roumanie et en Hongrie en 1958 et c:n Pologne en 1960. Radio-Varsovie (22 déc. 1960) annonça la condamnation à mort d'un ancien vice-président de la tannerie coopérative Przyzslosc à Radom pour détournement de fonds publics et opérations de marché noir sur le cuir ayant causé à l'État des pertes de 20 millions de zlotys. Trois autres inculpés furent condamnés à l'emprisonnement à vie et douze à des peines de prison de 6 à 15 ans. En Bulgarie, 43 personnes ont été condamnées à mort depuis 1956 pour crimes économiques. En Tchécoslovaquie, les crimes contre la propriété d'Etat sont passibles de peines de prison allant de trois mois à vingt ans.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==