168 du conflit entre les exigences économiques et les considérations doctrinales 4 • Un exemple des heurts entre les producteurs et le régime est fourni par les cordonniers hongrois, qui ont souffert pendant longtemps ·du manque de cuir de bonne qualité. Un groupe de 56 spécialistes monta une affaire florissante en achetant, traitant et vendant d'excellent box-· calf à chaussures. J anos Szemes, ancien magasinier, obtint une licence d'achat pour la maison de cuir gérée par l'Etat. Il mit sur pied un important réseau de représentants et de techniciens. Peu après, une petite usine de cuir fut créée. Les peaux étaient achetées 100 forints pièc~, le coût de la production était de 1.90 forints et le produit était vendu 500 forints. Sandor Szabo, magasinier de ·Nyiregyhaza, transporta par avion d'importants contingents de cuir de Budapest à Nyiregyhaza. (Notons que les voyages aériens à l'intérieur de la Hongrie sont encore un luxe réservé à peu de gens, pour la plupart des fonctionnaires.) Et lorsqu'un bottier à la mode de la rue Vaci eut vent du bon cuir que l'on trouvait à Nyiregyhaza, il s'y rendit en avion et en rapporta à Budapest. Entre-temps, Szemes & Cie distribuaient les dividendes. En un an, les bénéfices se montèrent à un million de forints. Le « directeur » et les « actionnaires » furent arrêtés en · juillet 1958 et condamnés à des peines de prison de deux à cinq ans (Erdekes Ujsag, Budapest, 7 août 1958, et Esti Hirlap, 12 avril 1959). Corruption au sommet PARMIles crimes économiques, ceux qui se rapportent à la prolifération d'entreprises semicapitalistes et à la corruption qe la bureaucratie d'Etat ont attiré, à juste titre, une attention particulière. La première catégorie de « crimes » - chapardage par les ouvriers d'usine - est interprétée par certains comme une preuve que le socialisme n'est pas après tout une « réalité irréversible » en Europe orientale. Pourtant, si l'instinct du profit et la recherche d'une _plus· grande aisance matérielle- sont des facteurs essentiels des ~élits économiques, ils ne semblent pas menacer la structure communiste de ces Etats. D'autre part, les nombreux. cas de corruption parmi les fonctionnaires tendent à confirmer l'impression que les généralisations de Djilas sur la « nouvelle classe» valent pour tout l'appareil politique de chacun des ·satellites. · C'est pourtant simplifier à l'excès que d'user d'un terme passe-partout tel que la « nouvelle 4. Voir le discours prononcé par Kadar le 15 octobre 1958 à une réunion électorale : « Les artisans et commerçants privés continueront pendant de nombreu-ses années à jouir de la possibilité de travailler activement comme de petits capitalistes... Nous pensons cependant que le moment viendra où ils auront à faire un pas en avant pour rejoindre le reste de la population dans une société où il n'y aura plus de capitalistes.» . Biblioteca Gino Bianee--~- L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE classe » pour désigner des groupes divers dans différents pays, qui ont peu de chose en commun, à part le .fait qu'ils représentent l~s couches inférieures de l'appareil bureaucratique et la quatrième classe composée des délinquants éco- · nomiques de ha~t vol. La. réaction d~ la ,bureaucratie aux pressions. v~nues en partie d_en bas,_ en partie des contradicttons ?U système lw-ID:ême, varient beaucoup en fonctton de la consetence et de l'homogénéité du groupe, de l'honnêteté politique, de la surveillance du Parti et de la stabilité politique et économique du pays. ·La corifiance que les· régimes totalitaires font à une bureaucratie d'Etat aux droits acquis crée inévitablement une tendance à l'auto-corruption et à un système complexe de privilèges ; mais elle mène aussi inexorablement à un conflit entre les principaux groupes de la hiérarchie et à l'intérieur de -ces groupes. L'expérience montre que la couche inférieure de la bureaucratie d'Etat est disposée à commettre ou excuser toutes sortes de crimes économiques: les chances d'avancement y sont minces et la soif de signes extérieurs (biens de consommation durables, automobiles et, depuis peu, tourisme à l' étran~er) .d',a~tant plu_s fort~. Bien que, pour des raisons evidentes, Il y ait très peu de données statistiques propres à fournir un aperçu sociologique de l'anatomie du crime, les sources officielles polonaises et hongroises confirment cette thèse S: La dégradation des principes moraux parmi les fonctionnaires est devenue une des principales sources de l'instabilité interne en Pologne et en Hongrie, alors que dans les autres pays satellites elle est bien moins perceptible. Ce contraste est dû à une combinaison· de facteurs politiques et économiques. Le mécontentement national, la présence des troupes soviétiques, le bas niveau de vie, le contrecoup des purges politiques et le fractionnisme dans le Parti, tout cela s'était conjugué pour créer en Hongrie (pour un temps) la possibilité d'un renversement violent du système totalitaire et en Pologne sa transformation pacifique. En· dépit de contrastes marqués, l'écrasement de ·la révolution hongroise et la marche arrière progressive du régime Gomulka ont provoqué dans les deux pays une désintégration politique et morale : en Hongrie, elle est teintée , ·5. Selon Trybuna Ludu (13 décei;nbre 1960), un grand nombre de personnes (5 .096) révoquées par la commission centrale de contrôle du Parti en 1960 occupaient d' « importantes situations dans l'appareil d'Etat et dans l'app3:Ieil éco- . nomique, y compris 257 directeurs et 1.083 hauts fonc- _tionnaires dont beaucoup passent pour avoir été des activistes dans les comités du Parti de wojewodztwo (district) · et dans les comités municipaux». Selon Slowo Powszechne (3 nov. 1960), « les causes les plus fréquentes des crimes (parmi les fonctionnaires) étaient l'absence de responsabilité morale de la part des directeurs du commerce socialisé, le désir d'augmenter leurs revenus, la soif de distractions et d'une plus grande aisance personnelle et la mauvaise attitude morale des employés du secteur commercial •·
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